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Mon nom est Titan

Nouvelles au fil du temps (1988-1997)

samedi 3 février 2007, par Maestro

Robert SILVERBERG (1935-)

J’ai Lu, 2006, 864 p.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce quatrième volume de la sélection de nouvelles du grand Silverberg réalisée spécialement pour la France, se sera fait attendre. Sans doute le décès de Jacques Chambon, qui dirigeait la collection « Imagine » chez Flammarion, où sont parus Le chemin de la nuit, Les jeux du capricorne et Voile vers Byzance (sorti en 2003 !), explique en partie ce retard, ainsi que la parution de ce quatrième et dernier volet directement en poche. Sur les vingt-trois textes proposés ici, seuls six sont totalement inédits en français, la plupart ayant déjà paru dans des anthologies ("L’appel des ténèbres", "Compagnons secrets", "Les éléphants d’Hannibal"...) ou des revues.

Pour les dix-sept autres, on a droit aux thèmes de prédilection de l’auteur, l’histoire en premier lieu. A côté de « La maison en os », évocation intéressante de la préhistoire et de la naissance fantasmée de la civilisation, de « Chasseurs en forêt », contre-pied de la tendance actuelle de nos sociétés à rechercher le risque zéro sous forme d’un voyage à l’époque des dinosaures, et de l’excellent « Vers la terre promise », que l’on retrouve en conclusion de Roma Aeterna, on trouve plusieurs extraits du recueil Le nez de Cléopâtre : « Le sommeil et l’oubli », uchronie autour de Gengis Khan malheureusement trop courte ; la stimulante rencontre entre Pizarre et Socrate dans « Entre un soldat, puis un autre » ; et « Tombouctou à l’heure du lion », texte prenant sur l’Afrique alternative de l’univers décrit dans La porte des mondes. Notons également un texte qui aurait mérité d’y figurer : « Jouvence », ou l’hypothèse un peu tirée par les cheveux de croisés ayant échoué en Floride et converti une tribu amérindienne, désireuse dès lors de reprendre Jérusalem aux infidèles... Quant à « Carnets de Henry James, récit de l’invasion martienne », variante de La guerre des mondes écrite selon le style du romancier sus-cité, il relève de l’uchronie, dans la mesure où le roman de Wells est ici attribué à James...

Un autre thème de prédilection de Silverberg est présent à travers un texte, celui de la mutation : « Rien ne sert de courir » illustre en fait son côté le plus tragique, à travers le sort de cet homme condamné à voir le proche avenir, tout comme « Jusqu’à ce que la mort nous sépare » et son accentuation de l’horreur du vieillissement tandis qu’autour de soi les autres demeurent éternellement jeunes. On pourrait en rapprocher « La route de Spectre City » et son éloge tranquille de la difficile compréhension de l’altérité à travers l’implantation d’extra-terrestres sur une partie de la Terre... Plus classique, « La solution d’Asenion », qui figurait dans l’anthologie Les enfants de Fondation, est une amusante mise en abyme sur la création de notre univers, proche du roman d’Asimov Les dieux eux-mêmes, tandis que le long « Voués aux ténèbres » offre une vision cosmique de l’expansion de l’humanité à travers de véritables « portes des mondes », en égratignant au passage les carcans fixés par les diverses croyances religieuses, en une célébration de la volonté d’expansion humaine. Plus fort encore, « Longue nuit de veille au temple » est une efficace démystification des mythes fondateurs des religions, qui prend appui sur l’existence de racines historiques ayant subi d’innombrables déformations. Dans un registre assez proche, on appréciera également beaucoup la savoureuse nouvelle éponyme, qui met en scène le titan Typhon recherchant de nos jours un Zeus désormais introuvable, image de la vacuité et de la fragilité des diverses religions.

Enfin, quelques nouvelles sont plus décevantes ou à la limite du hors sujet : pour le premier cas, « Chip Runner » sonne comme une réflexion ambiguë sur l’anorexie, tandis que « Le regard du mort » n’a de science-fictif que le décor, sa description de ce mari obsédé par l’adultère de son épouse et surtout la chute finale se rapprochant plutôt de Maupassant. « Va et vient » relève quant à elle davantage du fantastique, cette histoire d’une maison apparaissant par éclipses et attirant le narrateur ne trouvant pas de dénouement ni d’explication rationnelle.

Quant aux nouvelles inédites proprement dites, elles sont d’un intérêt certain. « La zone des clones » est une réflexion rapide mais pertinente sur la confusion engendrée par la multiplication du clonage, à travers l’exemple savoureux d’une république bananière d’Amérique latine. « Ce rouge éclat est le matin » (citation d’Emily Dickinson) décline le thème de l’archéologie avec la rencontre virtuelle de deux chercheurs, l’un d’aujourd’hui et l’autre de notre plus lointain avenir ; trait d’union entre le passé de la civilisation, son présent et son futur, ce texte résonne également comme un hommage à Olaf Stapledon, auteur de Les derniers hommes à Londres. « La venue de l’empire » est une déclinaison de ce sujet cher à Silverberg, la migration temporelle, avec ici un avatar de la Byzance impériale condamnée à errer à travers les époques : des opportunistes de notre Chicago moderne profitent de son passage à proximité de leur ville pour aller y faire des affaires, avec le risque de ne pouvoir rentrer chez eux avant un nouveau déplacement de la cité nomade. « Le deuxième bouclier », plus anecdotique, part d’une idée intéressante, la création d’œuvres d’art matérielles à partir de songes, pour ensuite se cantonner dans une piètre histoire mafieuse de commande non honorée et de menace d’assassinat. Enfin, « Diane aux cent seins », qui se déroule à Ephèse, utilise une fois encore les thématiques de l’archéologie et de la religion, à travers la découverte d’un caveau inviolé et de son mystérieux occupant, découverte qui ouvre une nouvelle réflexion sur l’éventuel appui rationnel des religions... Bref, malgré son caractère inégal, un recueil qui saura vous accrocher et vous séduire, d’une manière ou d’une autre.

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