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GANDAHAR
Les années lumière
samedi 17 février 2007, par
René LALOUX (1929-2004)
France, 1988
Gandahar est un des incontestables chefs d’œuvre de l’animation française, tout comme les deux autres longs métrages SF de René Laloux, La planète sauvage et Les maîtres du temps. Sa genèse fut toutefois particulièrement longue et laborieuse. L’idée d’adapter le roman de Jean-Pierre Andrevon, paru en 1969, naquit au milieu des années 70, mais les difficultés de financement reportèrent sa réalisation définitive au début des années 80. Finalement, c’est grâce à la collaboration d’un studio de la Corée du nord de Kim Il Sung que l’équipe put faire aboutir le projet, non sans mal, puisque l’essentiel du matériel dut être importé, les équipements coréens s’avérant trop désuets ou artisanaux. On ne sait d’ailleurs pas si le film fut projeté en Corée du nord (ce dont on peut légitimement douter). En France, il ne connut pas le succès qu’il méritait, réussissant davantage aux Etats-Unis, malgré une musique nouvelle, et avec des dialogues adaptés par Isaac Asimov en personne.
Sur la planète Gandahar, les êtres humains vivent sereinement, paisiblement et en toute innocence, jusqu’au jour où de mystérieux attaquants pétrifient la population humanoïde. Désireux de connaître l’identité de ces ennemis, le conseil féminin, dirigeant de Gandahar, envoie le servant Sylvain faire la lumière sur cette agression. Après avoir rencontré les transformés, mutants exclus de la société normalisée (symbole du point noir de toute collectivité humaine), il découvre l’identité des hommes machines, qui capturent les humains pour les envoyer à travers une étrange porte dimensionnelle. Il fait également la connaissance du métamorphe, un cerveau hypertrophié, fruit d’expériences passées, que les hommes machines vénèrent comme leur chef, statut que lui refuse... Sylvain va alors se lancer dans son plus long et périlleux périple, dans l’espoir de sauver Gandahar, tandis que les hommes machines lancent une offensive massive sur Jasper, la capitale.
Difficile d’en dire plus sans dévoiler les surprises que ménage Gandahar, en utilisant de bien belle manière le thème du voyage dans le temps... Les dessins de Philippe Caza, à la beauté onirique, et l’animation, non exempte de défauts, mais fluide, et d’une lenteur propice à la contemplation et à la réflexion, sont une véritable invitation à la poésie. Les trouvailles visuelles sont nombreuses, des émouvants transformés aux divers éléments de l’environnement de Gandahar, en passant par le pistolet à graines de Sylvain. De même, les dialogues, soignés, sont aussi sobres que pertinents, parfois très stimulants, avec les utilisations hétérodoxes des temps ou du singulier-pluriel. Tout au plus pourra-t-on déplorer quelques passages trop fleur bleue et assez clichés entre Sylvain et Airelle, ainsi qu’une fin légèrement trop rapide et abrupte. Enfin, la musique de Gabriel Yared, qui avait également composé celle de Malevil, contribue énormément à l’ambiance du métrage : éthérée, dépouillée et à l’impact mélodique direct, elle épouse la respiration du film, tantôt gravement emphatique (le générique), tantôt bucolique, toujours connectée aux émotions (on pourrait à cet égard la rapprocher de celle, tout aussi réussie, des contemporaines Mystérieuses cités d’or).
Gandahar, c’est le rêve écologiste d’Andrevon devenu réalité : une société fondée par les Terriens sur un autre monde, qui s’articule en harmonie avec l’écosystème, et n’utilise quasiment pas les ressources de l’industrie (a contrario du cauchemar déshumanisé et mécanique du métamorphe). Quasiment pas, car la science, même marginalisée en apparence, est toujours présente. Devenue plus sage, elle n’en est pas moins responsable, dans le passé, d’expériences ratées, illustration des risques que véhicule la recherche génétique actuelle : les transformés, déclinaison du thème classique des mutants, et personnalisés par ce langage si particulier du passé-futur ; et surtout le métamorphe, cerveau gigantesque, comme une métaphore transparente et gonflée de l’ambivalence de l’intelligence humaine.
Son évolution, sa sclérose, et sa volonté croissante de survie au détriment de ses anciens créateurs apparaît à la fois comme le reflet de la traditionnelle peur de la mort et de l’inconnu, mais également comme un tableau de la dégénérescence des révolutions, des changements fondamentaux, qui, selon l’adage, finissent par « dévorer leurs enfants ». Pour ceux qui douteraient de la pertinence de cet angle d’analyse, rappelons tout de même que Jean-Pierre Andrevon écrivit son roman à la fin des années 60, tout imprégné des idées « gauchistes » de l’époque (sans parler des sympathies d’extrême gauche de René Laloux lui-même). D’ailleurs, à travers les hommes machines et le discours de leur chef interchangeable, tout comme avec les extra-terrestres volants des Maîtres du temps, on découvre une condamnation de l’effacement de l’individu dans la masse, dans une collectivité sans âme et sans richesse, qui s’adresse aussi bien à un socialisme réellement existant qu’aux foules moutonnières et consommatrices du capitalisme. Un voyage merveilleux, un film intemporel, tout simplement.