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La Lune vous salue bien
samedi 14 juillet 2007, par
Johan HELIOT (1970-)
France, 2007
Mnémos, collection Icares, 256 pages.
Après l’excellent La Lune seule le sait et La Lune n’est pas pour nous, un peu décevant, voici donc le troisième (et dernier ?) volet de ce qui est finalement devenue une trilogie uchronique, œuvre d’un des auteurs les plus doués de sa génération. Et il faut dire qu’avec ce roman, un peu plus court que les deux précédents, le plaisir de lecture est total ! L’action se situe à la fin des années 50, une vingtaine d’années après les événements du second tome. La Lune a désormais quitté le système solaire en compagnie des extra-terrestres ishkiss, et pour compenser la perte de sa luminosité, les Etats-Unis ont installé un réseau de miroirs en orbite, permettant d’illuminer ou de laisser dans l’ombre n’importe quel coin du globe, en fonction des relations extérieures du pays de l’oncle Sam. La Seconde Guerre mondiale a bien eu lieu, mais elle ne s’est terminée qu’en 1950, débouchant sur une période de haine anti rouge (donc anti sélénite) croissante.
Les choses ne vont faire que s’accentuer avec l’assassinat à Dallas du président Eisenhower, tandis que Walt Disney s’efforce de contrôler les jeunes esprits étatsuniens tout en poussant John Wayne dans la campagne politique, et que le commandant Bob (alias Robert Henlein) lutte contre une menace d’infiltration venue de l’espace... Pour tenter de savoir exactement ce qui se cache derrière tous ces enjeux, les services secrets d’une France ayant perdu ses plus célèbres monuments, déménagés en Amérique, décident d’envoyer un de leurs agents, Boris Vian, dans une mission de longue haleine en compagnie de Mr Hulot. On le voit, la profusion de personnages est impressionnante, et outre les sus cités, on croise aussi Lawrence d’Arabie, Rommel, Goebbels, James Dean, Elvis Presley, Hemingway, JFK, Trotsky et bien d’autres, dont Alfred et Jean-Pierre de la série Ma sorcière bien aîmée !
Plus proche de la mise en abyme, Johan Heliot se plait à mettre en scène plusieurs figures de la science-fiction de l’époque, Clarke, Van Vogt, Hubbard, Asimov (dans des rôles plutôt cocasses), et même Rod Serling, le créateur de La Quatrième Dimension, devenu ici propagandiste d’Harmonia, la ville du futur ! Le clin d’œil ne serait pas complet si l’on oubliait de préciser que Boris Vian lui-même fut un actif zélateur du genre dans l’hexagone durant cette décennie des années 50, à travers articles et traductions. Cette galerie de personnages à vous donner le tournis est mise au service d’une intrigue menée tambour battant, avec des scènes d’action palpitantes et un style très dynamique, truffé des références littéraires ou musicales les plus inattendues, dont le meilleur exemple est certainement la narration de Boris Vian lui-même, familière et argotique à souhait, si française.
La lecture de La Lune vous salue bien est donc particulièrement jouissive, et au-delà, Johan Heliot critique le modèle étatsunien, mercantile et sécuritaire, voire paranoïaque, en égratignant au passage certaines des figures quasi légendaires de la mythologie contemporaine, déjà quelque peu écornée. Mais derrière cette vision de l’histoire qui fait la part belle à son côté le plus obscur, c’est évidemment notre réalité bien contemporaine que Johan Heliot prend pour cible, du tout sécuritaire aux ravages de la propagande politique et du conditionnement médiatique. Si l’on peut avoir toutefois tendance à regretter l’échec forcé de l’utopie martienne, la liaison ultérieure avec les forces révolutionnaires terrestres s’inscrit tout à fait dans l’optique engagée de Johan Heliot, non sans un certain iconoclasme d’ailleurs !