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C’était demain
Cent ans après l’an 2000
samedi 1er septembre 2007, par
Edward BELLAMY (1850-1898)
Etats-Unis, 1888, Looking Backward
Lux Editeur, Montréal, 2007, 272 p.
Avec ce roman relativement oublié aujourd’hui en France, on (re)découvre le pendant étatsunien de la première science-fiction française, paru quasiment au même moment que Les Xipéhuz de Rosny Aîné et précédant de sept ans La machine à explorer le temps. Saluons donc comme elle le mérite l’initiative de Normand Baillargeon, connu pour son engagement libertaire (d’où des allusions dans sa préface à l’économie participaliste qu’il défend). C’était demain est d’autant plus important qu’il connut au moment de sa sortie un vaste succès commercial, influençant par la même occasion bien des figures du socialisme étatsunien, dont Jack London et son Talon de fer, autre œuvre importante de SF. Il n’en est que plus cocasse de découvrir, au fil de l’intrigue, que le changement vers le socialisme de l’avenir s’est effectué contre les « rouges », accusés au passage d’être financés par la réaction ! Le narrateur est d’ailleurs un bourgeois hostile aux ouvriers et à leurs revendications, qui va se trouver endormi pour plus d’un siècle du fait d’un procédé mesmeriste. A son réveil en l’an 2000, la situation du monde va lui être exposé principalement par le bais d’un dialogue linéaire avec son hôte, tandis que, pour rendre la lecture plus aisée, on suivra en parallèle une romance avec la fille de ce dernier qui, elle, demeure fidèle aux clichés de l’amour victorien.
La vision de l’avenir développée par Bellamy est profondément positive et optimiste, véritable utopie réaliste. Les villes sont devenues de quasi jardins, et la démocratie règne en maîtresse, aussi bien dans le domaine de l’édition et de l’art que dans celui de la presse. L’Etat, devenu atrophié, ne s’en prend plus aux citoyens qui, l’existence déterminant la conscience (sic), et bénéficiant d’une éducation obligatoire jusqu’à 21 ans, ont désormais quasiment tous perdu leurs mauvais instincts. Le monde y est organisé en une fédération de nations, l’armée n’existe donc plus, ni la police, et, chose plus originale, toutes les fonctions dirigeantes sont occupées par des personnes élues... uniquement par celles qui sont déjà retraitées ! L’économie est toutefois le domaine qui occupe parmi les développements les plus conséquents. Tout fonctionne sur un modèle de monopoles nationalisés, qui évitent les gâchis capitalistes (concurrence stérile, surproduction, chômage), et distribuent les produits par l’intermédiaire de magasins nationaux (il en est d’ailleurs de même pour les logements). Pour s’y approvisionner, chaque individu dispose d’une carte de crédit (sic), lui autorisant des achats proportionnellement aux efforts fournis dans le travail. Concernant ce dernier, justement, de 21 à 45 ans, tout individu est membre de « l’armée industrielle », l’accès à chaque profession étant planifié en fonction des besoins de la société et des choix individuels. Parmi les autres anticipations, citons également l’ancêtre de la radio musicale ou les repas produits collectivement. Dans ce socialisme, la hiérarchie professionnelle est toujours présente, de même que l’héritage (tout au moins pour les objets), et surtout, les envies de chacun ne sont pas contrariées, à mille lieux d’une uniformisation bureaucratique.
Toutefois, certains aspects de ce futur idyllique sont singulièrement archaïques, dans la vie quotidienne en particulier : le tabac est toujours consommé, les vêtements n’ont pas beaucoup changés, et on diagnostique quelques survivances traditionnelles dans la répartition sexuée des rôles. Enfin, du fait de la croyance de l’auteur dans le christianisme, le passage du capitalisme à ce socialisme rêvé s’est fait en douceur, une vision pacifique du changement que l’on sera en droit de trouver un peu naïve. De cette réédition québécoise bienvenue, on regrettera seulement des annexes qui auraient gagnées à être plus développées, en incluant par exemple des critiques -positives ou négatives- engendrées par ce roman à différentes époques, ainsi que quelques considérations sur les discussions qu’il n’a pas manqué d’engendrer...