Séparation de corps

Richard D. NOLANE

France, 2010

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 324 p.

ISBN : 978-1-935558-63-7

Ecrivain émérite aux multiples casquettes - il fut coordinateur d’anthologies, scénariste de BD ou auteur d’essais sur le paranormal -, Richard D. Nolane est honoré par la sortie, dans la collection noire de Rivière blanche, d’un recueil particulièrement riche composé d’un roman et de quatorze nouvelles, dont une seule est véritablement inédite.

Le premier, Les démons d’Abidjan, fut à l’origine publié en 1990, et il présente la particularité d’avoir été le dernier titre de la collection Gore. Plutôt bien troussé, il décrit l’enquête menée par un blanc et un noir en Côte d’Ivoire, suite à une série de meurtres sur lesquels plane l’ombre de la sorcellerie ancestrale africaine. Au-delà de descriptions de cadavres tellement détaillées et sordides qu’on hésite entre dégoût et rire, le roman vaut surtout par son authenticité dans son portrait du pays, de ses habitants et de sa culture, ainsi que par la dimension exotique, originale, du fantastique mis en scène.

Les nouvelles, quant à elles, couvrent une large période allant de 1976 à 2010. « La nuée tombée des étoiles », qui présente également un cadre africain, est une agréable variation lovecraftienne, respectueuse des codes du genre. Dans une optique similaire, « Nouveaux aperçus inquiétants sur la bête du Devonshire » développe un cas relevé par Charles Fort dans son célèbre Livre des damnés, avec inventivité et efficacité dans la distillation de l’angoisse. « L’heure de l’éventreur », qui figurait en édition originale dans Les nombreuses vies de Jack l’éventreur aux Moutons électriques, est ici légèrement remaniée, mais plutôt que de ce transfert du légendaire serial killer dans les Etats-Unis des années 70, qui manque quelque peu de substance, on se délectera de « Ce qui est dans la monstrance », conte cruel tournant autour d’une relique de sainte aux prétendus pouvoirs.

En fait, là où Richard D. Nolane se fait peut-être le plus effrayant, c’est lorsqu’il déploie un fantastique à la limite du réalisme, finalement très proche de notre vécu. « Où fleurissent les névroses » raconte ainsi le calvaire vécu par un mari dont l’épouse s’est totalement refermée sur elle-même, « L’habitant de Speed Queen » l’horreur qui peut se dissimuler jusque dans une laverie automatique, « Masques » la saisissante destinée de deux beaufs un soir d’Halloween, la nouvelle éponyme la vengeance d’une victime via internet, et « La chauve-souris », un des textes les plus marquants, la dérive meurtrière d’un homme qui a basculé dans la folie. On pourrait en rapprocher « Un loup pour l’homme », variation sur le thème du loup garou, où la dimension la plus bestiale se trouve finalement sur le versant le plus civilisé en apparence. Quant à « Transcommunication », réutilisation originale de la bête du Gévaudan, et « Le mal du pays », où le zombi vu sous l’angle du politiquement correct actuel, ils ont pour point commun d’être centrés sur le collaborateur d’une émission télévisée dédiée au paranormal.

Enfin, deux textes sont plus inclassables : « Sur le bitume de l’arène du destin », qui met en scène Ronald Reagan dans un univers onirique à la veille de sa tentative d’assassinat (une façon pour l’auteur de se placer en porte à faux vis-à-vis de la tendance très à gauche de la SF politique française des années 70), et « Une histoire chinoise », le sort d’un Chinois de retour chez lui après la Première Guerre mondiale qui découvre ce qui est arrivé à son épouse, l’occasion d’un éclairage sur les mentalités traditionnelles chinoises quant à l’honneur familial. Un recueil qui emporte largement l’adhésion du lecteur et éveille l’espoir d’une suite éventuelle.