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Le livre de Cendres

La mercenaire au lion

samedi 23 février 2008, par von Bek

Mary GENTLE (1956-)

Grande-Bretagne, 1997, Ash : A Secret History (admirez l’acronyme !)

Publié en un seul volume en Grande-Bretagne, le Livre de Cendres a été tronçonné en quatre volumes ailleurs. Non sans raison car, s’il est un modèle du genre au dire de certains, il est aussi un mastodonte de plus de 1500 pages. Très refroidi après la lecture de la tétralogie de Gregory Keyes
par les uchronies qui se mêlent sans vergogne à la fantasy, empruntant les chemins de la Kabbale ou d’un ether qui se substituent parfois à la physique newtonienne ou à la science cartésienne, j’avais freiné des quatre fers devant Le livre de Cendres, en bon âne que je suis. Il faut dire que comme d’autres les couvertures de Denoël-Lune d’Encre, aux quatrièmes épouvantables et une édition en quatre volumes avaient facilité la répulsion. Est-ce un intérêt personnel pour le XVe siècle ? Le goût de l’uchronie ? La bataille de Nancy de 1477 ? J’ai quand même fini par donner sa chance au Livre de Cendres et attaqué le premier volume...

Cendres est un personnage atypique pour son époque, du genre de ceux qui finissent sur le bûcher s’ils n’étaient pas déjà des parias : une femme dans une armure milanaise de condottiere, chef d’une compagnie au lion d’Azur, à qui la rumeur prête une voix qui la guide sur le champ de bataille, assurant son succès et la survie de ses hommes. Engagée au service de l’empereur Frédéric III, Cendres se voit récompensée en 1476 pour son efficacité par un mariage dont elle attend des terres qui mettront sa compagnie à l’abri du besoin pendant l’hiver. L’invasion wisigothe perturbe un plan qui était de toute façon foireux et le lecteur bien assis dans son savoir historique qui sait pertinemment que les Wisigoths n’ont rien à voir avec Carthage, d’autant qu’au Moyen Âge celle-ci n’existe plus. Peu leur chaut de ne pas exister : les Wisigoths et leurs golems de terre cuite écrasent Etats et cités, les uns après les autres, sous la conduite de leur Faris, une femme générale guidée par la voix d’un golem de pierre situé à Carthage, qui n’est pas sans ressembler à Cendres. Avec leur avancée, que rien ne peut arrêter, pas même les miracles suscités par les prêtres, arrivent les ténèbres qui privent l’Europe de soleil. Un seul objectif les intéresse : la Bourgogne. Pourquoi la Bourgogne ? Cette question Cendres se la pose longtemps, entrainée par les évènements lors de la bataille d’Auxonne, pendant le siège de Dijon, plus soucieuse cependant de sortir ses hommes de ce guépier, mais la découverte de ce qui se trame révèle des enjeux bien plus importants.

De la fantasy donc au premier abord. Indubitablement. De bonne qualité et avec un souci de réalisme cradingue digne du Nom de la rose. Mary Gentle, qui a suivi les War Studies du King’s College (Cambridge ?), rentabilise sa formation, déclinant les différents visages de la guerre au Moyen Âge depuis l’échauffourée jusqu’au siège, avec un vocabulaire technique qui obligerait un lecteur soucieux de précision à se reporter au livre de Viollet-le-Duc sur les armes médiévales. L’auteur n’hésite pas aussi à jouer à plein sur la symbolique médiévale. C’est dire ! Mais une fantasy marquée par une histoire uchronique dans laquelle le christianisme n’est pas tout à fait la religion que nous connaissons, où les prières peuvent donner vie aux miracles et où demeure un royaume wisigoth en Afrique du Nord, issu de l’invasion de 479 après J.C., réussie dans cette trame [1].

Sauf que l’uchronie ne s’arrête pas à la fantasy et qu’avant même que ne débute l’épopée, un encadré de références bibliographiques ouvre Le livre de Cendres, apprenant au lecteur qu’il lit un des rares exemplaires existant encore de Cendres : l’histoire oubliée de la Bourgogne par le professeur Pierce Ratcliffe. Il apparaît que Ratcliffe traduit dans son livre un manuscrit inédit et inexploité sur la vie de la mercenaire, dont il espère qu’il l’éclaire sur Cendres avant son décès à la bataille de Nancy en 1477. Le récit qu’il traduit du latin médiéval ne correspond pas à l’Histoire que nous connaissons et Ratcliffe explique ces divergences à son éditrice dans une correspondance électronique essaimée dans Le livre, comme étant le fruit de figures de style littéraire médiévales. La différence prend cependant de telles proportions que l’explication rationnelle ne suffit plus, alors que des fouilles archéologiques en Tunisie mettent à jour des vestiges qui viennent corroborer le manuscrit ancien. L’Histoire semble alors avoir deux visages.

Avec Le livre de Cendres, Mary Gentle réussit l’impossible : un mariage intelligent des genres fantaisie et science-fiction - de l’uchronie bien sûr dont les détails vont faire gamberger les lecteurs en quête d’un point de divergence, jusqu’à la Hard Science et au Cyberpunk -, sans prendre de gants, tout en construisant son récit sur une réflexion sur la nature de l’histoire. Or, ce récit est aussi une aventure dont le long cours pourra en rebuter plus d’un mais durant laquelle la créatrice sait susciter l’émotion et la surprise, évoquer la sauvagerie et l’humanité.


L’édition française comprend en annexe dans le tome IV la novella La logistique de Carthage parue dans le recueil d’uchronies Worlds That Weren’t.


[1Elle a échoué dans notre histoire : la flotte wisigoth a coulé dans une tempête.

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