Accueil > TGBSF > J- > Le jeu de l’éventail
Le jeu de l’éventail
dimanche 10 novembre 2019, par
Colette FAYARD (1938-)
France, 1992
Denoël, coll. "Présence du futur", 224 p.
Le jeu de l’éventail est le dernier livre de science-fiction publié par Colette Fayard, chevelure de traîne de celle qui fut une comète dans le ciel du genre. Pourtant, si l’on y retrouve les traits caractéristiques de son écriture, stylisée voire maniérée, poétique au risque de l’elliptique, toujours très sensuelle, ils sont ici mieux maîtrisés que dans Par tous les temps, mis au service d’une histoire en trois temps qui sont autant de nouvelles et d’époques différentes.
« Sur la montagne des aromates » en est peut-être la plus belle composante. En 1981, nous suivons en effet le journal intime d’une enseignante de français en lycée (une part d’autobiographie ?), qui s’efforce de faire éclore parmi ses élèves le goût et le talent d’écrire. Elle est parallèlement fascinée par une de ses collègues, qui va la conduire à faire la connaissance du père de celle-ci. Paralysé, il lui raconte comment il en est arrivé là : les plus belles pages, les plus fascinantes du roman, sont ici, lorsqu’il évoque une lointaine planète, ses habitants canins, le tout baigné d’onirisme, et la fuite précipitée qui l’a fait retrouver la Terre diminué, dans l’incapacité de retrouver ce monde rêvé. Et puis, il y a les enfants handicapés, dont l’institution est située juste en face du domicile de la narratrice, et qui produisent des dessins évoquant à la fois les textes des lycéennes et les souvenirs du vieil homme.
La seconde partie, « Rêve d’or », prend place en 2017, son action se déroulant tout entière dans les profondeurs du métro parisien. Nous y suivons les pérégrinations d’un groupe d’immigrés, aux profils pour le moins contrastés, dont le passé est souvent brumeux. Cabossés par la vie, ils déploient une profonde humanité, à la fois généreuse et violente, avant de connaître une véritable illumination, liée aussi bien aux drogues qu’aux philosophies orientales, qui est en même temps fuite définitive hors de cette vie de misère.
« Le jeu de l’éventail », enfin, prend place en 2059, avec un journaliste passionné par un nouveau sport, qui consiste en une sorte de dressage improvisé d’une murène par un nageur. Liang Sut Yi est également blessé par la fin de son histoire d’amour avec la mère de sa fille, qu’il voit désormais beaucoup moins. Comme en compensation, il reporte l’essentiel de son intérêt sur Anatoli, vedette du jeu de l’éventail qui réussit un retour éclatant. Ce dernier, transfuge d’une Mongolie « socialiste » conduit de ce fait à la mort, a également un fils, auquel Liang Sut Yi semble énormément s’attacher. Il y a là comme le déclencheur de pouvoirs psychiques encore insoupçonnés, ce qui conduit à son incorporation dans un centre gouvernemental de Mongolie.
Une chose est sûre : la politique, bien qu’apparemment placée en arrière-plan (les élections de 1981, dans lesquelles s’implique pourtant la narratrice de « Sur la montagne des aromates », sont évanescentes), joue un rôle essentiel. Dans « Rêve d’or », anciens dictateurs africains comme ancien jeune embrigadé par les khmers rouges se retrouvent au ban de la société occidentale, comme une métaphore de la désillusion des espoirs tiers-mondistes et révolutionnaires, en un centenaire d’Octobre qui ressemble fort à un enterrement de première classe, au vu de l’apparente réconciliation des antagonismes passés. Sans oublier la critique de la société de consommation (« L’an 2000 a ouvert l’ère de l’illusion et de la frustration », p. 119), et la fin tragique des potentialités ouvertes par l’émergence de pouvoirs psychiques, puisque Le jeu de l’éventail se conclut par l’utilisation de ces derniers dans un sens d’affrontement géopolitique fort classique, Mongolie et Chine alliées contre une Russie qui subit un remake du joueur de flûte de Hamelin.
Si Colette Fayard s’intéresse bien peu au potentiel visionnaire de la science-fiction, tant ses futurs ressemblent pour l’essentiel à son présent, elle accorde ses faveurs aux faibles, aux exclus, aux sans grades, aux humiliés, qui se découvrent les plus sensibles à l’ailleurs, à l’appel d’un monde meilleur, handicapés mentaux, clochards, Parabole sur le pouvoir tout puissant de l’imaginaire ? L’acmé d’une science-fiction postmoderniste ?