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Utopies 75
samedi 12 juillet 2008, par
Michel JEURY (1934-), Philippe CURVAL (1929-), Christine RENARD (1929-1979) et Jean-Pierre ANDREVON (1935-)
France, 1975
Robert Laffont, collection Ailleurs et Demain, 312 pages.
Peut-on interpréter cette invitation faite à quatre auteurs majeurs de l’époque comme une concession à un air du temps décidément très politique ? Toujours est-il que Gérard Klein accueille ces mousquetaires sur la base d’un thème simple : proposer leur vision de l’utopie au mitan de la décennie 70. Il manque d’ailleurs une préface à ce bel ensemble, qui apparaît finalement comme un peu brut.
Michel Jeury ouvre le bal, avec « La fête du changement ». L’action prend place dans un avenir bouleversé, où la Terre, du fait des coups de boutoir écologiques assénés par l’humanité, s’est retrouvée majoritairement couverte d’un désert, avec une population nettement réduite. Tel un oasis loin du monde, Variana est une utopie réalisée, un communisme de la rareté, où le troc a remplacé le commerce. Puisant leur énergie dans des sources renouvelables (soleil, vent, géothermie), les habitants se sont installés sous terre, et vivent sur un même pied d’égalité, sans propriété privé ni gouvernement. Autogestion, liberté sexuelle et refus de la société industrielle vont de pair, mais cette société modèle n’est pas dénuée de toute ambiguïté : ainsi, on y trouve une sorte de couche intellectuelle, et surtout deux reines, aux pouvoirs qui flirtent avec le fantastique. C’est d’ailleurs une des caractéristiques de ce récit, à cheval entre anticipation et onirisme, d’autant qu’il existe pour tous les habitants de Variana une cérémonie qui intervient normalement plusieurs fois au cours d’une vie, le Changement, permettant de repartir de zéro, plus mûr, une façon de vivre plusieurs vies et d’appliquer la vision de Marx sur la non spécialisation définitive. Pourtant, ce monde serein, parfait reflet du rêve de 68, va finalement être attaqué et envahi, mais la conclusion de Jeury fleure bon l’optimisme, puisqu’il place en chaque membre de Variana l’espoir d’une contamination par l’exemple de cette utopie qui deviendrait ainsi mondiale.
L’utopie de Philippe Curval, dans « Un souvenir de Pierre Loti », se situe sur une planète autre, ancien carrefour de voies spatiales. Nopal partage avec la vision de Jeury une dimension fantasmagorique, qui se passe d’explications rationnelles au profit de tableaux quasiment féeriques. Planète artificielle, Nopal est le règne d’un véritable volontarisme de l’existence. La liberté y est totale, le naturisme mode de vie, le meurtre interdit, les religions jugées « ridicules », et le travail entièrement pris en charge par des androïdes, tandis que les habitants, issus de toutes les espèces de la galaxie, se consacrent à la création. Il s’agit toutefois là d’une enclave dans un univers qui demeure capitaliste, Nopal étant d’ailleurs financé par un droit qu’acquittent tous les vaisseaux de passage et par les recettes de « duty free shops » installées à ce carrefour. Par ailleurs, Nopal rejette toute idée de progrès au profit d’une transformation continue, et les velléités de révolte des deux nouveaux arrivants, protagonistes centraux de la nouvelle, qui prennent le parti d’androïdes exploités, est parfaitement digéré par cette société libertaire. La mort du couple, par dégoût de soi, laisse finalement une trace amère chez le lecteur.
Christine Renard, par « Au creux des Arches », positionne également son utopie sur une lointaine planète, presque un univers parallèle, puisqu’on n’y accède que par l’intermédiaire de portes au fonctionnement inconnu. L’héroïne, une terrienne, découvre ainsi une société féminine, où chaque femme vit en symbiose avec sa maison, son arche : chacune s’occupe d’ailleurs des œufs de l’autre. Pourtant, cette utopie présente de sérieux aspects dystopiques. Ainsi, les hommes sont infériorisés, n’ayant pas droit au partage d’une arche, tout comme les étrangères, exclus par principe d’une société finalement extrêmement fermée sur elle-même, en cellules autosuffisantes et nombrilistes. Heureusement, le dénouement du récit voit la victoire de l’espoir, celui d’une réconciliation des humains avec la nature.
Enfin, Jean-Pierre Andrevon, qui clôt le recueil, par « Le monde, enfin », imagine la fin progressive de l’humanité du fait de l’arrêt de toute naissance nouvelle. Extinction plutôt sereine, images émouvantes offertes par les derniers représentants de notre espèce, qui contraste avec le grouillement descriptif des multiples créatures naturelles, reprenant la main au détriment des multinationales désormais bien dérisoires, nouveaux fossiles. La victoire radicale de l’écologie. Utopie un rien naïve, utopie ambiguë, utopie égoïste, utopie anti humaine, le tableau des espérances révolutionnaires offert par ce volume est bien sombre.