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La terre sauvage

samedi 2 août 2008, par Maestro

Julia VERLANGER (1929-1985)

France, 1976-1979

Bragelonne, collection "Les trésors de la SF", 2008, 504 p.

ISBN : 978-2-35294-198-9

Plus le temps passe, et plus les éditions Bragelonne se distinguent par leur travail insigne en faveur de la science-fiction : si certains des romans contemporains du genre déjà publiés ne brillaient pas par leur génie, les sorties des mémoires de Jacques Sadoul d’une part (C’est dans la poche !), la publication des actes de plusieurs des colloques tenus à Cerisy-la-Salle d’autre part (Les nouvelles formes de la science-fiction,Science-fiction et imaginaire contemporains) ont été des décisions plutôt courageuses. En cette fin de premier semestre 2008, non content de proposer un volume de Samuel Delany bigrement intéressant (Les chants de l’espace), Bragelonne inaugure une nouvelle collection, "Les trésors de la SF", dirigée par Laurent Genefort, et dont l’objectif est de republier certains chefs d’œuvre méconnus. Si l’overdose de fantasy a ces conséquences sur notre genre de prédilection, il y a de quoi être au moins en partie rasséréné !

Le premier volet de la collection est consacré à une auteure française trop vite disparue, Héliane Grimaître, alias Julia Verlanger, alias Gilles Thomas ; cette « Intégrale – Volume I » annonçant la sortie ultérieure de quatre autres tomes. L’ensemble se compose surtout d’une trilogie initialement parue au Fleuve noir entre 1976 et 1979, Les hommes marqués, en plein boom de la science-fiction politique. Il s’agit d’un tableau post-apocalyptique du monde, centré sur la France, alors qu’une guerre aux causes obscures (les nationalismes en sont les seules racines à être clairement condamnées), suivie de « la Grande Pagaille », a ramené la civilisation à un état primitif. Les villes ont été les plus touchées, à grands coups de bombes diverses, et on retrouve donc un certain éloge de la ruralité, versant du monde moins dangereux (pas de rats ou d’émanations toxiques), d’autant que les communautés incarnant plus ou moins durablement un havre de paix y sont toutes situées. Dans le premier volet, L’autoroute sauvage (1976), Gérald, un solitaire, délivre Annie, une ravissante jeune femme, partie en expédition dans l’espoir de trouver un remède possible à une maladie mortelle, la peste bleue, issue de manipulations bactériologiques. Il consent, après bien des péripéties, à la suivre pour Paris. En chemin, ils se lient d’amitié avec un autre solitaire, Thomas, et c’est le duo masculin qui s’aventure dans l’ancienne capitale au péril de leur vie ; d’autant qu’ils y découvrent une nouvelle forme de vie, des billes amassées en une gelée capable de manipuler les squelettes. Le roman se conclut avec leur arrivée dans la communauté d’Annie, sur l’île de Porquerolles.

Dans La mort en billes (1977), le duo Gérald et Thomas se voit enrichi d’une gamine d’à peine dix ans, Marie-Thérèse, alias Marithé, et d’Alex, jumeau privé par la mort de son frère, à l’occasion d’une expédition envoyée par les survivants de Porquerolles afin de tester le remède potentiel contre la peste bleue et de ramener sur l’île le plus grand nombre de survivants âgés et spécialisés. Ce faisant, ils découvrent l’existence de survivants encore parfaitement socialisés et développés en Suisse, et surtout doivent faire face à l’offensive de la nouvelle forme de vie, qui se répand de plus en plus à travers les campagnes. La fin du roman, avec son deus ex machina, déçoit d’ailleurs en partie par son manque de crédibilité (comment Gérald peut-il être le premier à découvrir une parade aussi évidente ?). Enfin, L’île brûlée (1979) débute par une terrible attaque subie sur Porquerolles, qui entraîne la mise sur pied d’une expédition comprenant Gérald, Alex et Thomas. Parvenus en Tunisie, ils se retrouvent captifs d’une société esclavagiste dirigée par des femmes bleues télépathes. Ils s’efforcent péniblement de lutter contre elles, avec l’aide de la peuplade installée en plein cœur de la Démence, une zone totalement transformée par les bombardements bactériologiques subis… Sans doute le volume le moins convaincant des trois.

A travers cette trilogie, qui aurait pu être déclinée encore davantage, c’est au pendant sombre du « Monde enfin » de Jean-Pierre Andrevon (voir Utopies 75) que l’on est confronté. La nature a repris ses droits, et la barbarie domine. Les groupes de survivants n’hésitent plus à se nourrir de chair humaine, tandis que seule la loi du plus fort s’impose. Pour les solitaires, d’ailleurs, l’humanité se divise entre les loups, seuls susceptibles de résister et de s’imposer, et les moutons, masse soumise et quasiment débile. Cette vision fait la part belle aux analyses d’un Hobbes, et l’on pourrait même y voir une validation des thèses les plus ultra libérales. D’autant que la violence règne en maîtresse, générant une quasi jubilation. Sauf que Gérald doit régulièrement contrevenir à ce schéma : il se lie d’amitié qui avec un solitaire torturé, qui avec une gamine désemparée, loin de la loi de la jungle, et l’amitié est une des forces qui irrigue la trilogie. D’autre part, si un modèle social existe toujours, il faut le chercher, non pas dans une Suisse majoritairement épargnée et conduite par la règle militaire, mais sur l’île de Porquerolles, où la démocratie a pu s’épanouir. On pourrait également citer le village de la Démence, mais la mise en commun des ressources s’y oppose à des mœurs réactionnaires, aux antipodes de la sexualité libre pratiquée par les solitaires. L’existence, dans toutes ces micro sociétés, d’un chef, susceptible de virer au tyran (particulièrement s’il s’agit d’un dirigeant religieux), renforce l’éloge de l’individualisme qui traverse la trilogie. La grande force de Julia Verlanger, au talent de conteuse confirmée, réside dans son style, fait de phrases courtes, dans un registre souvent assez familier, restituant à merveille le retour en arrière de la société, la narration à la première personne -celle de Gérald- accentuant l’impression de réalisme cru. De là à voir dans cette série une préfiguration de Mad Max, ainsi que s’aventure à le proclamer la quatrième de couverture, il y a un pas que je ne m’avancerai pas à faire : certes, les autoroutes sont omniprésentes, car facilitant les déplacements, mais ici, pas de véhicules motorisées, ni de lutte pour l’essence, ou à la rigueur dans L’île brûlée… Tout au plus pourra-t-on dire que La Terre sauvage, comme Mad Max ou Les hommes sans futur de Pierre Pelot, incarnent les inquiétudes d’une époque.

Ces trois romans sont complétés par quatre nouvelles unies par leur thématique, celle de l’apocalypse atomique, et leur période de parution, entre le milieu des années 50 et la première moitié des sixties. « Les bulles » est sans aucun doute la plus célèbre, pour avoir été intégrée à diverses anthologies (dont Les mondes francs). Cette touchante histoire racontée par une fillette devenue orpheline et enfermée dans un abri est une critique de l’énergie atomique par le biais de créatures mystérieuses, les fameuses bulles, probablement créées par la radioactivité ; la chute, véritablement atroce, fait pour beaucoup dans l’impression durable que génère le texte. « Le recommencement » est une suite alternative de la précédente, demeurée inédite jusqu’en 1989, et si elle se révèle plus optimiste sur le sort de l’adolescente, elle témoigne malgré tout d’un profond pessimisme sur la « nature » humaine, sa conclusion ouverte offrant un retour à la campagne. « Nous ne vieillirons pas » ressemble à un prélude de la trilogie des hommes marqués, un cri de désespoir face à l’anéantissement mutuel des deux blocs. Enfin, « Le dernier jour » est un récit tragique, celui d’un petit garçon et de sa mère démente condamnés à mourir suite à la violence des hommes, en l’occurrence une bande de pillards générée par la chute de la société face à la menace nucléaire. Ce bel ensemble est enrichi par un article de Laurent Genefort sur les appréciations de plusieurs auteurs français de SF à l’égard de Julia Verlanger, et surtout une analyse critique pertinente de Serge Perraud. De quoi être assurément confiant pour la suite de la collection !

Messages

  • Juste un petit pinaillage, mais :

    "Cette vision fait la part belle aux analyses d’un Hobbes, et l’on pourrait même y voir une validation des thèses les plus ultra libérales."

    Ca, ça m’a fait bondir. Hobbes, des thèses ultra-libérales ? Heuuuuuuuuuu, non, franchement, non, mais alors pas du tout...

    Sinon, on est dans l’ensemble d’accord sur ce sympathique volume.

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