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Divergences 001
samedi 27 décembre 2008, par
Alain GROUSSET (1956-)
France, 2008
Flammarion, collection "Ukronie", 304 pages.
Après Ceux qui sauront, de Pierre Bordage, la récente collection lancée par Flammarion propose un recueil de nouvelles uchroniques, un choix d’autant plus ambitieux qu’il s’adresse à un public jeune (ne possédant sans doute pas toujours le background nécessaire pour apprécier pleinement ces variantes historiques) et que l’ensemble fait vraiment bonne figure. Outre une préface stimulante d’Alain Grousset, Eric Henriet, spécialiste incontesté du sujet (souvenons-nous de son indispensable Histoire revisitée), se fend d’une postface synthétique précieuse et même d’une sélection bibliographique plutôt étoffée, citant aussi bien des romans (en commençant par Napoléon et la conquête du monde, de Louis Geoffroy) que des BD ou des jeux vidéo. Les neuf textes inédits (à l’exception de celui de McAuley, paru en 2003 dans Galaxie) sont classés par ordre chronologique de divergences, et le casting des auteurs inspire le respect.
D’autant que bien des récits ne se contentent pas d’arpenter des chemins déjà rebattus maintes et maintes fois. Ainsi, la nouvelle de Pelot, « Après le déluge », privilégie une construction qui peut paraître un peu ardue pour un public jeune, ne dévoilant que très progressivement sa substantifique moelle : son idée d’un Noé qui n’aurait pas été le seul survivant du déluge est étonnante, en même temps qu’elle lui permet surtout de dénoncer le fanatisme dont la religion des Hébreux serait à l’origine. Un peu simpliste et rapide, sans doute, mais d’un anticléricalisme réjouissant ! De même, « Exode » de Jean-Marc Ligny imagine une préhistoire dans laquelle, pour des raisons semble-t-il naturelles, les néanderthaliens seraient demeurés l’espèce dominante, au détriment des cro-magnons, jugés plus belliqueux, annonçant l’aube d’une histoire plus pacifique ; le dialogue entre deux êtres a priori opposés, pour anachronique qu’il puisse partiellement apparaître, n’en revêt pas moins une dimension touchante. Le texte de Michel Pagel, « Le petit coup d’épée de Maurevert », est pour sa part fort sympathique, surtout pour les destinées alternatives de certains personnages célèbres, dans une France où la mort d’Henri de Navarre a conduit à la division du territoire entre huguenots soutenus par l’Angleterre et catholiques appuyés par l’Espagne… Quant à la nouvelle de McAuley, « Une histoire très britannique », elle est tout simplement jubilatoire, spécialement pour les afficionados de SF. Sous la forme du compte-rendu d’un ouvrage d’histoire, il imagine que ce sont les soldats britanniques (menés par un certain sergent Stapledon !), et non étatsuniens, qui se sont emparés des scientifiques allemands, permettant à leur pays de participer en tête à la course spatiale. Outre la critique d’un certain patriotisme britannique, MacAuley fait feu de tout bois dans sa description d’une expansion humaine dans tout le système solaire en seulement quelques décennies. Seule la chute de l’URSS, maintenue dans le même tournant temporel, paraît quelque peu forcée en l’état, d’autant que les ressources provenant de Mercure auraient pu, entre autres, permettre d’éviter l’effondrement économique…
Moins original quant à son époque, « L’affaire Marie Curie » de Laurent Genefort imagine une Première Guerre mondiale qui se serait prolongé jusqu’au début des années 30, boostant d’autant le progrès technologique ; le même type de thèse que dans Les vaisseaux du temps de Stephen Baxter. Bien que des interrogations subsistent sur la divergence (les Etats-Unis ne sont pas intervenus, mais la prise du pouvoir par les « démocrates libéraux » en 1905 en Russie semble le premier écart par rapport à notre histoire), l’enquête policière menée tambour battant d’avère plaisante. Seule la fin apparaît précipitée et peu crédible (l’isolement de l’Allemagne résultant de ses expérimentations faisant fi de la realpolitik, ainsi des Etats-Unis de notre trame historique, loin d’être mis au ban des nations après leur entrée pourtant meurtrière dans l’âge atomique). Xavier Mauméjean fait de même avec la Seconde Guerre. Si les nazis ont gagné le conflit grâce à l’enlisement du projet Manhattan, les Etats-Unis, dirigés par le président Mac Carthy, n’en connaissent pas moins des mouvements de résistance. L’originalité de Mauméjean est de mettre en scène des opposants d’un genre peu banal, puisqu’il s’agit de Rod Serling et Richard Matheson. Se mêlent alors Twilight Zone, œuvres (non existantes dans cet univers) du créateur de L’homme qui rétrécit et même acteurs connus ! Le résultat est ainsi tout à fait réjouissant.
Par contre, certaines nouvelles ne possèdent pas le même potentiel de conviction. « Le serpent qui changea le monde », de Fabrice Colin, a beau mettre en scène une Afrique noire plus développée qu’une Europe demeurée essentiellement barbare, la divergence proposée -la migration d’une Cléopâtre ayant fait mourir Octave à sa place- manque de crédibilité, tandis que le rêve caressé par sa servante de mettre fin à l’esclavage embaume par trop le moralement correct. « Pax Bonapartia », signée de Johan Heliot, est plus amusante que véritablement crédible, avec son Bonaparte ayant quitté Elbe pour l’Amérique, en un Napoléon III victorieux du Mexique. Surtout, l’anticipation d’un Napoléon inventeur de la politique d’extermination d’Hitler dépasse la nécessaire dénonciation des côtés sombres de l’autocrate pour verser dans les excès typiques du livre Le crime de Napoléon de Claude Ribbe. Enfin, « De la part de Staline », de Roland C. Wagner, est sans aucun doute la moins réussie de l’anthologie. Outre un déroulement de l’intrigue finalement assez poussif, et une chute qui renoue avec les évènements que nous avons nous-mêmes connus en 1989, la divergence imaginée - une France divisée en deux du fait de l’offensive d’une URSS dirigée par Trotsky balayant l’Allemagne de la scène du second conflit mondial- prend appui sur une improbable survie de Lénine jusqu’en 1940 et surtout sur une identité entre Staline (tué accidentellement pendant la révolution de 1917) et Trotsky comme représentant les intérêts de la bureaucratie soviétique, ce qui est tout de même traiter légèrement l’histoire réelle…
Souhaitons en tous les cas que cette collection puisse contribuer au retournement en faveur de l’uchronie dans notre pays, lui permettant d’acquérir un véritable statut aussi bien dans les programmes scolaires qu’au sein de la corporation historienne…