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Chants de l’espace
samedi 17 janvier 2009, par
Samuel R. DELANY (1942-)
Etats-Unis, 1965-1968
BRAGELONNE, 2008, 694 p.
ISBN : 978-2-35294-182-8
Face à un aussi copieux recueil, on se plaît à espérer que Bragelonne poursuive dans cette voie de réédition d’autant d’œuvres de qualité. Pour 25 euros, vous avez en effet droit à deux romans de Delany considérés comme des classiques, et à cinq nouvelles qui sont loin d’être anecdotiques. Le tout est classé par ordre chronologique, correspondant à ce qui semble être l’acmé de la bibliographie de Delany, un auteur qui a le chic pour cumuler les marginalités, noir, homosexuel et auteur de SF ! « La ballade de Bêta-2 » est une première démonstration magistrale de son talent. Avec un point de départ somme toute assez simple, les paroles d’une chanson, Delany nous invite à une véritable enquête anthropologique, en digne égal de Jack Vance. Un étudiant se voit en effet confier l’élucidation de cette balade, créée par un peuple négligé, puisqu’il est le descendant des tous premiers équipages à avoir franchi l’espace, avant l’invention de procédés bien plus rapides. Par le biais de divers documents, et avec un sens du suspens hautement maîtrisé, on découvre les origines de ce morceau, une vision poétique et finalement optimiste de la vie dans l’espace. Impressionnant !
Avec Babel 17 , nous sommes confrontés à un roman jugé incontournable. Toutefois, si son point de départ appartient indéniablement à la frange la plus intellectuelle de la SF, véritable leçon de philologie, la gestion de l’intrigue s’avère finalement plus basique. Une poétesse surdouée, Rydra Wong, se voit en effet chargée de déchiffrer un code, surnommé Babel 17, attribué aux mystérieux envahisseurs, adversaires de l’humanité. Pour mener à bien sa mission, elle recrute un équipage et part dans une épopée qui lui fait rencontrer successivement un baron amoureux des armes de destruction et un chef pirate soucieux de son indépendance. On a là une simple transposition des récits d’aventure de pirates, les tatouages cédant par exemple la place à des implants nettement plus radicaux, et il s’agit là de l’élément qui rattache le plus clairement le space opéra de Delany à ceux du passé. Lecture exigeante, Babel 17 est à bien des égards une anticipation des récits de hard SF pour sa forme et ses propos assez complexes, jusqu’à la résolution de l’énigme où se croisent programmes informatiques et raisonnements sur la langue.
La nouvelle « Empire Star » prend place dans le même univers galactique, traversé par des vaisseaux, avec cette fois une allégorie de la traite esclavagiste, à travers les Lll, des créatures à la force extraordinaire, soumis aux dirigeants de l’empire, dont la simple proximité génère une imparable tristesse. Comet Jo, un indigène humain d’une planète dont le seul rôle est de fournir une matière première au reste de la galaxie, se voit confier la mission d’amener à bon port une curieuse forme de vie, un tritovien cristallisé. On retrouve ici le thème du bon sauvage, qui va s’émanciper par son équipée à travers les courants de l’espace, le récit prenant progressivement de la profondeur pour finir par apparaître tel un échafaudage de réalités temporelles reliées entre elles. Dans « La fosse aux étoiles », l’époque de rédaction transparaît avec des personnages consommateurs de drogues -la jeune Alégra, âgée d’une quinzaine d’années, étant même accro depuis sa naissance- et l’intérêt pour des minorités, en l’occurrence celle des dorés, humains qui sont les seuls capables de franchir les gouffres spatiaux du fait de déficiences mentales. Surtout, à travers le narrateur, un mécanicien échoué dans la fosse aux étoiles, et qui se prend d’affection pour des enfants, on découvre la tragédie d’un homme, Vyme, en même temps qu’une forme alternative de famille, composée d’un groupe d’hommes et de femmes mariés entre eux et éduquant collectivement les enfants de tous. L’ensemble est exposé dans le style de Delany, plein de circonvolutions et d’images, une influence qui jouera probablement beaucoup sur un français comme Daniel Walther. Quant à « … et pour toujours Gomorrhe », publié dans le célèbre recueil d’Ellison, Dangereuses Visions, il s’agit d’un court récit tournant également autour de la sexualité, les marins ayant des aventures dans chaque port étant ici remplacés par des travailleurs spatiaux devenus asexués par nécessité, et qui sont la source de bien des fantasmes, non sans une certaine misère sexuelle sous jacente de leur part.
Le second roman, Nova , paru en 1968, est une autre histoire au long cours, écrite dans ce style d’un lyrisme rutilant, construit autour de la quête d’un héritier d’une famille richissime, Lorq Von Ray, devenu pirate moderne. Ce dernier n’a qu’une obsession, damer le pion à son rival d’enfance, Prince Red, en réussissant à récupérer du sein d’une nova en pleine explosion des quantités tellement énormes d’illyrion qu’elles en bouleverseraient l’équilibre économique. Autour de lui, un équipage pour le moins dépareillé, duquel émerge la Souris, un jeune gitan maîtrisant à merveille le maniement d’un instrument de musique capable de générer aussi odeurs et images, la syrinx sensorielle. Si le récit en lui-même s’inscrit toujours dans la veine de ces contes marins, la nova se substituant à une tempête ou un maelström quelconque, Delany n’en livre pas moins quelques réflexions pertinentes, ainsi de l’ensemble des planètes colonisées par l’humanité devenu une véritable société de l’information. De même, la plupart des individus sont équipés de douilles leur permettant de se brancher directement sur des machines, une généralisation du mode cyborg qui anticipe sur les visions du cyberpunk. On demeurera plus sceptique sur la pseudo libération de l’aliénation du travail, par le biais d’un travailleur au sentiment de puissance renforcé, sans que ne soit remis en cause la propriété des moyens de production et le profit qui en est retiré.
Enfin, cette compilation se termine avec une nouvelle au titre plus attirant que son véritable contenu, « Le temps considéré comme une hélice de pierres semi-précieuses », contenu dans lequel on peine à pénétrer. Il s’agit en effet de l’histoire d’un délinquant au quotidien plutôt vain, en complète opposition aux Chanteurs, des individus qui chantent les évènements dans une espèce de thérapie apaisante et collective. Cette petite fausse note ne doit pas empêcher de (re)découvrir un auteur qui symbolise à merveille la transition entre le space opéra de l’âge d’or et les nouvelles perspectives de la SF des années 60, 70 et au-delà…