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La vie comme une course de chars à voile
samedi 18 avril 2009, par
Dominique DOUAY (1944-)
France, 1978
Calmann-Levy, collection "Dimensions SF", 208 p.
Ce roman de Dominique Douay, publié dans une collection surtout familière d’auteurs anglo-saxons, ne démérite nullement à leurs côtés. Plus, La vie comme une course de chars à voile se hisse quasiment au niveau du Temps incertain de Michel Jeury, l’effet de surprise en moins. Formellement, l’exercice de style est similaire, le principal protagoniste, François Rossac, étant confronté au télescopage de réalités divergentes, lui-même émergeant d’un univers onirique au profit d’un présent concret, mais avec des court-circuitages chronologiques assez touffus. On se retrouve ainsi ballorté, mais jamais égaré, reprenant pied dans la douleur du monde réel, celui de l’aube du XXIème siècle.
Dominique Douay l’imagine sous un jour assez sombre, les nations ayant été supplantées, dans leur sentiment d’appartenance, par les multinationales (les primsocs, aux dirigeants désormais anonymes), qui exigent un contrat de la part de chaque individu contraint de s’identifier à l’une d’entre elles, mondialisation obscure [1]. Pour faciliter ce glissement de souveraineté du politique à l’économique et éviter toute révolte dangereuse, deux leurres ont été téléguidés par ces mêmes entreprises : les fakos, milices proto fascistes destinées à faire diversion de manière démagogique et à canaliser le ressentiment populaire vis-à-vis des grands groupes économiques ; et les bi-millénariens, une secte qui agite la peur de l’an deux mille, surfe sur les angoisses métaphysiques et pratique les immolations rituelles. Il y a donc de quoi chercher refuge dans un monde parallèle et illusoire, ce qu’un nombre croissant de personnes ont atteint au sein des rêvariums, faisant ainsi entrer la Terre dans un cycle de décadence. Et si cet état de stase peut sembler dans un premier temps s’apparenter à un sentiment de puissance démesurée, de par le pouvoir exercé par l’inconscient sur les univers oniriques, il apparaît en fait que cette fuite est finalement une impasse, un cul de sac assez similaire à la Perte en Ruaba d’un Jeury, tragique conscience de l’être…
« Vous croyez être libre, vous vivez en fait à l’intérieur d’un vaste camp de concentration. Votre existence vous paraît sans saveur ; la civilisation de l’image est là, qui cherche à vous faire oublier la grisaille quotidienne… Une constante fuite en avant. Si l’homme s’était arrêté (à supposer qu’il l’ait pu…) pour regarder/analyser le présent, peut-être serait-il parvenu à déchiffrer ce qui l’entourait. Trop dangereux pour ceux à qui le système profitait. Pour eux, il fallait au contraire qu’il fût submergé par un flot qui l’entraînait vers un futur à coup sûr encore moins transparent que le présent. On pensait qu’ainsi il serait plus docile. Mais avait-on prévu qu’au bout du chemin il y avait la folie ? » (p.195). Un petit chef d’œuvre.
[1] « Longtemps qu’on aurait pu la prévoir la fin des vieilles démocraties à savoir même si ce mot-là a jamais eu d’application concrète je ne suis pas très ferrée en histoire mais j’ai bien l’impression que la démocratie est toujours restée un truc abstrait dont tout le monde pouvait se réclamer pour faire oublier les exploitations, les injustices, les inégalités » (p.125).