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Des métiers d’avenir

samedi 19 septembre 2009, par Maestro

Pierre MARLSON (1935-2011)

France, 1979

Ponte Mirone, coll. "Espaces mondes", 312 p.

Avec cette anthologie thématique, Marlson avait l’ambition, sans doute un brin démesuré, d’offrir un cadre pour une écriture libre et neuve. Bien des auteurs y poursuivent assez pertinemment des tendances seulement en germe à leur époque. Ainsi, « Médecins de l’ombre » de Christine Renard imagine une société hyper libérale, imprégnée de religion, dans laquelle toute faiblesse, toute maladie doit être vécue comme un juste sort naturel ; les médecins sont donc devenus clandestins, et poursuivent leur sacerdoce en risquant eux-mêmes leur vie. « L’art du trait » de Lionel Evrard est une des plus réussies. Son protagoniste tente de devenir charpentier, à une époque de « dictature libérale avancée » où les maisons sont désormais préfabriquées, satisfaisant les rêves individualistes de propriété, et le chômage rémunéré une fatalité (anticipation finalement en opposition totale à l’évolution ultérieure). Celui qui va le plus loin, jusqu’à l’absurde, est cependant « L’échelle mobile », de Pierre Bameul. Son personnage, tel un hamster dans sa roue, incarne le non sens d’une vie prolétaire, réduite à la satisfaction des besoins vitaux et à l’exécution d’une tâche abrutissante et inutile. « Les travailleurs avaient toujours fabriqué avec zèle : les bâtons destinés à les battre, les prisons à les enfermer, les machines à les abêtir et les armes à les détruire. En tout individu normal il y a un débile mental qui s’ignore. Grâce à la Société, il peut se révéler » (p.180).

Le texte de Francis Valéry, « Les réverbères d’acier ont desséché ton visage les réverbères acides ont desséché ton image », qui s’inscrit dans l’univers chronolythique créé par Jeury, est plus offensif, voire même positif. Face à un pouvoir autoritaire, l’exercice de la musique véhicule un indéniable message d’émancipation, jusqu’à faire la connexion avec les guérillas réfugiées dans la Perte en Ruaba, et qui finissent par amener la victoire de la « révolution utopiste » en France. « Nous avons assimilé les erreurs de la génération de 68. (…) Nous avons réinventé la violence constructive et l’Utopie Réaliste. Nous refusons le travail et la consommation. (…) La seule force vive est la marginalité » (p.59). Il en est de même avec Muriel Favarel, dans « Les nouveaux Tourtourains ». Des chômeurs y sont en effet engagés afin d’assurer l’animation folklorique dans un village du sud-est de la France, déserté par ses habitants. Ils découvrent finalement l’atroce vérité : victimes d’une pollution nucléaire, la végétation puis la faune ont été touchés, avant que les habitants, trahis pour des intérêts immobiliers par leur maire, décident de prendre les armes pour proclamer leur commune autogérée. Décimés par l’armée, ils feront des émules en la personne des jeunes travailleurs, qui massacrent l’encadrement, recourant à la lutte armée comme résistance. La conclusion semble moins optimiste en ce qui concerne « Le nirvâna des accalmeurs », signé Joëlle Wintrebert. Les deux jeunes femmes qui souhaitent renverser l’ordre existant en subvertissant un neutre, instrument permettant la diffusion d’ondes calmantes et anesthésiantes dans les cerveaux de toute la population, se heurtent en effet au poids de son conditionnement.

« Diagnostikeur de délinko », de Raymond Milési, ne développe malheureusement pas pleinement son sujet, préférant inventer une nouvelle langue, avec un travail approfondi et explicité, mais qui rend la lecture particulièrement difficile et rebutante, malheureusement. Daniel Walther, lui, se consacre davantage à son histoire d’amour en trio qu’à ses « Nouveaux travailleurs de la mer », marins d’un hypothétique futur où les océans terrestres doivent être régulièrement purgés d’algues destructrices, résultat d’une pollution séculaire. « Les maîtres d’hôtel » de Jeury est une amusante variation sur le temps et ses bégaiements, tandis qu’Andrevon, avec « Un peu de douceur… », s’amuse à inverser la fonction policière et sa violence exacerbée en la faisant endosser par une femme. De même, le « Guide du jeune travailleur » d’Yves Frémion est une liste légère de métiers imaginaires, tous plus dérisoires les uns que les autres (contrôleur de police, à concurrence de 20 contrôleurs pour un agent, ou indicateurs, qui constituent les effectifs majoritaires de la CGT !), avec cette consommation réglementée de chair humaine en raison de la disparition de toutes les bêtes à viande. Malgré son titre prometteur, « Comment j’ai fait l’ascension de la face nord d’un vide-ordures » déçoit quelque peu ; on relèvera tout de même ce passage intéressant, qui témoigne bien d’un certain fatalisme politique : « Pendant un moment, à la faveur d’élections, nous avons eu une municipalité dirigée par le Parti Ouvrier Français. Les I.G.H. sont leur œuvre maîtresse. », dans la mesure où les conditions de vie y étant moins bonnes que dans les pavillons individuels, l’exaspération peut profiter au développement du POF, qui reporte alors la responsabilité sur les promoteurs capitalistes ; « En fait, ils ne font rien. Pas plus que les autres partis, du reste ! (…) Les troupes sont heureuses d’avoir bien lutté sans s’être rendu compte une seule seconde qu’elles avaient été manipulées constamment… Mais ça, le POF le doit aux différents gouvernements qui (…) ont consciencieusement organisé la crétinisation des masses. (…) Pendant un temps, on avait pu croire qu’un genre littéraire, la Science-Fiction, allait ouvrir les yeux aux populations. Il n’en a rien été. » (p.251-252). « Le laveur d’aire d’air », signé Jérôme Carival, est bien trop court, et « L’insurrection » du lycéen Michel Dias très onirique, l’exaltation de la révolte prenant la forme d’un assaut de licornes, avec la défaite contre la société mécanisée et sans âme au bout… Enfin, « Laissez venir à moi les petits enfants » de Michel Leriche est la nouvelle la moins intéressante du recueil, son exposé du rôle croissant de l’Etat dans l’éducation tournant à vide.

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