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Un feu sur l’abîme

samedi 5 juin 2010, par von Bek

Vernor VINGE (1944-2024)

Etats-Unis, 1992, A Fire Upon the Deep

A la périphérie extérieure de la Voie lactée, un groupe de chercheurs humains a découvert des archives très anciennes mais réveille du même coup une intelligence artificielle aux ambitions hégémoniques. En tentant de fuir le site, la moitié de l’expédition est détruite mais l’autre moitié, le cargo de la famille parvient à passer et s’échoue sur une planète à la civilisation médiévale et au bord de la guerre. Les parents sont tués et les enfants survivent, recueillis par chacune des parties mais dans l’ignorance de leur survie réciproque. Pendant ce temps, l’IA - surnommée la Gale - a entrepris son extension, prenant le contrôle des mondes, mais essayant aussi de retrouver le cargo qui lui a échappé et qui a emporté ce qui pourrait la détruire. Le Réseau, une société commerciale vivant de la communication dans l’espace galactique, menacée par la Gale, charge Ravna de retrouver le cargo disparu avec l’aide de deux extra-terrestres et de Pham, un humanoïde créé par une Puissance - une IA mineure - dans le but bien précis de vaincre la Gale.

Prix Hugo 1993, Un feu sur l’abîme est un roman étrange qui démarre sur un ton Hard Science, évolue en space opera et s’achève sur une dominante fantasy, changement que lui permet déjà sa confortable épaisseur (près de 800 pages dans l’édition Livre de poche). A la Hard Science, Venor Vinge emprunte quelques effets stylistiques comme un vocabulaire technique parfois créé de toute pièce mais accessible seulement par une compréhension globale, qui rendent la lecture un peu hermétique ou du moins juste assez pour que le lecteur se sente pris dans un propos technique et donc en partie réservé à des spécialistes sans que pour autant il n’en comprenne pas le propos. Cet aspect s’étend aussi bien à la technologie spatiale qu’à celle des Dards, comme les enfants ont ainsi baptisés leurs hôtes involontaires. Une des plus chouettes créations du livre réside dans la sectorisation de la galaxie en anneaux dans lesquelles le déplacement à des vitesses supra-luminiques n’est pas toujours possible parce que les ordinateurs ne peuvent accomplir des calculs trop élaborés dans ces zones. Pour faire bref : plus on se dirige vers le centre, moins les machines peuvent calculer ; plus on s’en éloigne, plus les calculs peuvent être compliqués et rapides. Qu’on ne s’imagine pas cependant que la résolution d’une simple addition devienne impossible. Cette sectorisation, illustrée par une carte au début du livre, joue un grand rôle dans le roman puisque les déplacements s’effectuent en milliers d’années-lumières.

D’où la dimension space opera d’Un feu sur l’abîme. Un résumé très simple serait de dire qu’il raconte une mission de sauvetage de la Galaxie du mal. Cela appauvrirait grandement le roman mais cela ne serait pas mentir. La dimension space opera est particulièrement riche puisqu’elle cultive à la fois des enjeux politiques à l’échelle galactique, invente des créatures extra-terrestres... Notons cependant la volonté de ne pas développer le statut ou la qualité de ce que le récit désigne sous le nom de Puissances - la Gale en est une -, à priori des IA dont les supports de fonctionnement demeurent inexpliqués mais dont les possibilités semblent grandes puisqu’elles trouvent leur racine à l’extérieur de la galaxie (espace dit de la Transcendance) où les computs connaissent peu de limites. Vernor Vinge n’a pas pu ou pas voulu (le volume du livre est une limite possible) expliciter les prises de contrôle des mondes par la Gale. Néanmoins le roman offre son content et son quota de batailles spatiales. Côté créature, si les Cavaliers des Skrodes et leur destin en raviront plus d’un, ce sont surtout les Dards, comme les ont baptisés les enfants qui ont échoué chez eux, qui m’ont séduit. L’auteur s’est révélé particulièrement imaginatif en créant une race dérivé du loup, quasiment incapable de dépasser le niveau de réflexion animale individuellement mais formant des personnalités lorsqu’elles se réunissent en meute de trois et plus. La meute communique avec ses membres par télépathie, partage le sens de toutes ses composantes mais ne peut voir ceux-ci s’éloigner de trop de peur de perdre le lien ni se trouver trop près d’une autre meute sans entraîner des perturbations susceptibles de provoquer une bagarre sanglante et animale. Encore une fois, comme pour les aspects Hard Science, Vinge ne fournit pas une explication clé en main des créatures et il faut au lecteur s’accrocher dans les premières pages les concernant mais on s’y fait vite et les éclaircissements arrivent progressivement.

N’eurent été que ses côtés Hard Science et Space opera, Un feu sur l’abîme serait déjà un livre très riche. Or, l’auteur introduit une thématique qui se rapproche davantage de la Fantasy - n’en déplaise au créateur de La guerre des étoiles -, non pas en situant une grande partie de son action dans un monde médiéval, l’intrusion de technologie plus avancée ou les différents niveau de développement étant des lieux communs du space opera, mais en développant une résolution fondée sur l’élection d’un personnage par le biais d’une technologie telle que sa manifestation semble ressortir davantage de la magie. C’est le même personnage que développera Vinge dans Au tréfond du ciel en 1999 qui lui vaut un autre prix Hugo. Autant dire qu’après un si long roman, un tel dénouement apparaît un peu facile et rapide et tend rétrospectivement à donner des longueurs à la deuxième partie du roman qui correspond au voyage vers le monde des Dards pour Ravna et ses amis et à l’acclimatation des enfants dans ce même monde.

Si l’on est pas vraiment déçu par la fin du livre (il y a toujours une petite satisfaction à triompher d’un tel pavé), le lecteur peut paradoxalement se sentir un peu frustré et ce en dépit et à cause d’une richesse conséquente dont de nombreux aspects demeurent inexploités au profit de passage un peu longuet dont on a du mal à percevoir l’intérêt pour l’intrigue. Ajoutons qu’Un feu sur l’abîme n’est pas un livre d’un abord très facile.

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