LE LIVRE D’ELI

Albert HUGHES (1972-) & Allen HUGHES (1972-)

Etats-Unis, 2010, The Book of Eli

Denzel Washington, Gary Oldman, Mila Kunis, Ray Stevenson, Jennifer Beals, Frances de la Tour, Michael Gambon & Malcolm McDowell

Les frères Hughes revenant à la réalisation longtemps après From Hell, ce n’est pas l’enfer qui vient à eux, mais eux qui vont à l’enfer. Car l’enfer, c’est bien ce à quoi ressemble le monde traversé par le personnage de Denzel Washington. Selon un truc narratif des plus classiques, le spectateur apprend progressivement qu’une guerre a dévasté la planète, provoquant aussi un trou dans l’atmosphère suffisant pour que les rayons solaires réduisent en cendres la terre arable et tout ce qui n’était pas protégé. Les survivants ont appris, ou pas, à le demeurer, mais chaque possession est devenu un trésor susceptible d’attirer la convoitise de pillards quand ceux-ci ne cherchent pas tout simplement de la chair fraîche.

Or, celui dont on découvre sur le tard mais sans surprise le prénom, Eli, a développé une certaine aptitude pour la survie. Il avance obstinément vers l’ouest, investi d’une mission, taillant dans le gras maigre des pillards à coups d’une machette bien affutée ou de pistolet bien ajustés. Chaque nuit voit venir un rituel, de la toilette à l’aide de serviettes PFK à la lecture du livre qu’il transporte. Ses talents ne manquent pas de le faire remarquer par Carnegie (Gary Oldman) qui tente de le retenir à ses côtés, n’hésitant pas à lui jeter dans les bras Solara, la fille de sa compagne, mais c’est surtout son livre qu’il convoite et dont il espère tirer le pouvoir de se tailler un royaume. Pour le posséder, Carnégie est prêt à tout risquer en se lançant à la poursuite d’Eli et Solara.

La surprise ne vient malheureusement pas du livre d’Eli qui est bien sûr une Bible, édition du roi Jacques, dont les deux adversaires sont convaincus du pouvoir que pourraient avoir les mots qu’elle contient dans cette abomination de la désolation qu’est devenu le monde. Regrettons ici ce manque d’imagination qui fait du Livre d’Eli un film désespérément américain pour les mécréants européens et autres confessions dont la lecture de la Bible, surtout celle du roi Jacques Ier d’Angleterre, ne fait pas partie de la pratique, religieuse ou pas. C’est plutôt un éclat de rire que risque de susciter ce combat, ainsi qu’une inquiétude...

Inquiétude parce qu’il y a message religieux délivré par les frères Hughes, volontairement ou non, et ce message est on ne peut plus clair mais heureusement très politiquement correct comme le souligne la présence finale du Coran et autres textes sacrés. On peut le résumer en deux propositions, dont la deuxième est explicitement énoncée par Eli : la foi est un fondement de la civilisation humaine et lire le message est moins important que s’y conformer. Bien sûr le personnage de Carnégie est là pour souligner que le risque est que le message tombe entre de mauvaises mains. Carnegie est une métaphore du faux prophète, tout comme Eli est celle du vrai prophète, d’autant que son prénom évoque à la fois celui d’un mentor du prophète Samuel et le nom de Dieu. Son livre est donc celui de Dieu. La France laïque va encore bien rire.

La révélation finale risque aussi de susciter une moue sceptique, car elle semble complétement improbable, au point d’apparaître comme une facilité scénaristique pour laquelle rien ne transparaît dans le jeu et les actes de Denzel Washington. Retour à la case miracle et voix céleste.

Reste le plus impressionnant : la mise en image de ce monde apocalyptique. Sans doute tourné à l’aide de filtres gris bleuté, Le livre d’Eli fait passer l’enfer de Dante pour chaleureux. Les décors semblent avoir été minutieusement constitués et les personnages soigneusement construits - il n’y a guère que Denzel Washington, un peu trop gras pour un monde si précaire, qui fasse tâche - incarnent le chaos du scénario. C’est heureux car, avec les scènes d’action, cela rend Le livre d’Eli visible.