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Les Sentinelles

samedi 19 juillet 2014, par von Bek

Sergueï LOUKIANENKO (1968-) & Vladimir VASSILIEV (1967-)

Russie, 1998-2004

Les sentinelles de la nuit, 1998, Ночной дозор

Les sentinelles du jour, 2000, Дневной Дозор.

Les sentinelles du crépuscule, 2004, Сумеречный дозор.

Sentinelles de la nuit, sentinelles du jour, forces de l’ombre, forces de la lumière, vampires, sorcières... tout ça sent à plein nez la énième resucée de la lutte entre le bien et le mal. Sauf que les deux camps ont conclu un armistice dont la surveillance du respect des clauses est assurée par deux gardes recrutées parmi les deux forces ennemies : aux forces de la lumière échoit la garde de nuit et aux forces de l’obscurité celle du jour. Tous attendent que l’humanité bascule dans l’un ou l’autre côté, décidant ainsi de la victoire pour un camp et cela pourrait bien survenir à la faveur de la naissance d’un mage d’exception mais sera-t-il Sombre ou Clair ?

Anton Gorodetski est un Autre, un mage blanc en l’occurrence, sentinelle de la nuit à Moscou. Si les Autres ont l’apparence d’humains la plus part du temps pour mieux se fondre dans la masse, ils peuvent se transformer au grès de leur pouvoir magique ou même être des créatures pas toujours très humaines comme des vampires, des loups-garous ou des démons, forcément engagés dans les forces de l’obscurité. Dans Les sentinelles de la nuit le héros, naguère analyste au service de la garde de nuit, fait ses premières patrouilles sur le terrain avec pour mission d’arrêter un vampire qui agit sans autorisation des contrôles. Il fait la connaissance de plusieurs personnages qui se révèlent des Autres qui s’ignoraient et qu’il est amené à recroiser au fil des trois récits qui composent le volume. Ce schéma des trois récits dont les fils s’entrecroisent est repris dans les deux volumes suivants, Les sentinelles du jour et Les sentinelles du crépuscule. Il évite ainsi au lecteur de se lasser mais ne peut être comparée à un recueil de nouvelles ou de courts romans dans la mesure où l’ordre de lecture est impératif pour comprendre pleinement les évolutions des personnages.

Autre particularité, la quasi-totalité des récits qui composent cette trilogie qui finira en pentalogie victime de son succès, sont rédigés à la première personne. Cette écriture subjective n’est abandonnée temporairement que dans le deuxième volume, le seul par ailleurs à avoir été écrit à quatre mains. On y retrouve la sorcière Alissa Donnikova, tombée en disgrâce auprès de son maître Zébulon après les évènements des Sentinelles de la nuit, participant à une opération pour leur arracher une sorcière non initiée. Epuisée elle est envoyé au repos en Crimée où elle fait la connaissance du bel Igor. Dans le deuxième récit, la narration d’Anton fait sa réapparition : un mystérieux sombre débarque d’Ukraine complétement amnésique et se découvre des capacités magiques affolantes, surtout pour les forces de la Lumière. Sans doute ces alternances stylistiques n’attireront pas la faveur des critiques littéraires à Sergueï Loukianenko. Elles n’ont en tout cas pas empêché son succès.

Lequel repose sur des ressorts assez efficaces. Bien que mettant en scène des créatures magiques, l’action n’est pas privilégiée dans la narration qui se révèle assez posée - un choix que les films ne font clairement pas - et qui laisse une large place au questionnement sur la nature de l’équilibre de l’armistice, sur celle du bien et du mal ou sur celle de la magie. Progressivement, l’auteur enrichit son univers en introduisant une force d’arbitrage, l’Inquisition (Les sentinelles de la nuit) et en approfondissant le fonctionnement de la magie (Les sentinelles du jour). A chaque fois, ce qui est soulevé dans un volume est approfondi dans le suivant. Les intrigues prennent le plus souvent le tour d’enquêtes dans lesquels les contrôles se mettent en chasse d’Autres en violation avec le Traité ou cherchent à comprendre le pourquoi et le comment de manifestations magiques.

Nombre des trucs de l’auteur semblent provenir de l’univers du jeu qu’il soit de plateau, de rôle ou vidéo. En n’adoptant pas non plus une lecture purement manichéenne du bien et du mal et en inventant un armistice codifié en périlleux équilibre, Loukianenko introduit des règles du jeu qui, comme chacun sait, sont faites pour être non pas violées mais contournées . Considération importante qui forme la base des intrigues plutôt tordues pour ne pas dire casuistiques. Heureusement, même s’il est versé dans la psychiatrie, l’auteur ne sombre jamais dans une introspection aride et barbante. Le style, guère élaboré mais fréquemment émaillé de texte de chansons, évoque un peu celui d’un thriller ou d’un polar. Quelques idées sont particulièrement bien trouvées comme le principe des malédictions, au départ simple imprécations lancées par n’importe qui. D’autres sont clairement empruntées aux jeux de rôles ou aux jeux vidéos, comme les niveaux des créatures et des mages ou les niveaux de la pénombre, dimension magique de notre univers.

Ce n’est cependant pas à une réflexion sur le bien et le mal que se livre l’auteur mais bel et bien à une réflexion sur le pouvoir. C’est particulièrement visible dans Les sentinelles du crépuscule, le seul volume où une certaine nostalgie de l’empire russe est particulièrement perceptible, sans pour autant que l’auteur manifeste un regret bien qu’il paraît que Loukianenko ait apporté un soutien à la politique de Poutine en Ukraine. Les Autres apparaissent comme une métaphore des puissants qui gouvernent le monde sans que le commun des mortels ait son mot à dire.

En cette époque de plein succès de la littérature fantastique, alors que les vampires pointent leurs crocs sur tous les étalages des librairies ou dans de nombreuses séries télévisées, il n’est pas étonnant que Les sentinelles de la nuit devienne un best-seller mondial, puis un film, mais l’ampleur de ce succès, du moins tel qu’il est crié depuis la quatrième de couverture, semble un peu excessif. Très agréables à lire, Les sentinelles ne font cependant pas partie de ces romans qui tiennent éveillés jusque tard dans la nuit. On peut se demander dans quelle mesure le retard de publication des deux derniers volumes - La dernière garde et La belle sentinelle - sont le reflet d’un succès très relatif auprès du lectorat français.

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