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Les éclaireurs
samedi 26 décembre 2009, par
Antoine BELLO (1970-)
France, 2009
Gallimard, coll. "La Blanche", 478 p.
ISBN : 978-2-07-012426-8
Les éclaireurs est la suite annoncée des Falsificateurs, et reprend le fil de l’action peu de temps après la fin du premier roman, confirmant l’appréciation d’une lecture fluide et agréable. On retrouve donc Sliv, considéré de plus en plus comme le meilleur agent du CFR, ainsi que son mentor Gunnar (plus lointain ici, toutefois) et ses deux meilleurs amis, le Soudanais Youssef et l’Indonésienne Maga, qui célèbrent justement leur mariage au début du livre. Toujours divisé en grandes parties localisées sur un lieu géographique précis, Les éclaireurs débute avec une intrigue centrée sur les efforts du CFR afin d’obtenir de l’ONU la reconnaissance du Timor oriental comme un de ses membres à part entière ; l’occasion pour Sliv de faire de l’acrobatie aérienne quant aux négociations entre la jeune nation et les émissaires des Nations unies. Mais le cœur de l’ouvrage tourne autour des attentats du 11 septembre et plus généralement de la politique des Etats-Unis vis-à-vis de la menace islamiste, qui occupent la totalité de la seconde partie.
Et c’est là que la déception est au rendez-vous, face aux promesses suscitées par le volume précédent. La focale ainsi resserrée restreint d’emblée l’envergure de l’œuvre, mais surtout, le point de vue défendu illustre nettement un engagement implicite de l’auteur (attention, révélations à ne pas lire si on ne veut pas gâcher une partie du plaisir de la lecture !). Pour dire les choses clairement, le CFR apparaît sans ambiguïtés comme un défenseur de l’idéologie occidentale et plus précisément des valeurs prônées par les Etats-Unis, Bello faisant néanmoins davantage confiance à la diplomatie et au dialogue qu’à l’utilisation de la force. On apprend ainsi que la Fraction armée rouge est en réalité une création du CFR, qui a voulu faire apparaître le terrorisme d’extrême gauche comme une menace sérieuse pour la RFA afin de souder la population autour de son gouvernement, allié essentiel des Etats-Unis (et décrédibiliser par la même occasion l’ensemble de l’extrême gauche ?). Plus, après la fin de l’URSS, c’est le CFR qui a anticipé le danger du radicalisme islamiste et a donc créé de la même manière Al Qaida afin de faire changer d’approche le gouvernement étatsunien vis-à-vis du monde arabe ; au passage, l’administration Clinton est critiquée pour son immobilisme sur la question, tandis qu’un Colin Powell est épargné car supposé plus honnête que le reste de l’administration Bush fils. La démarche de ces pompiers pyromanes du CFR a finalement trop bien réussi, l’enquête centrale du roman ayant pour objectif de comprendre d’où viennent les fausses informations utilisées par la CIA pour justifier une attaque préventive sur l’Irak…
Assurément, la critique des années Bush témoigne d’une prise de risque limitée, suscitant l’impression d’arriver un peu tardivement, mais le fait que cette dénonciation ne soit pas limitée au seul gouvernement, englobant également les médias ou même la population, s’avère plus originale. En outre, l’ultime partie du roman retrouve un véritable souffle, avec des révélations plus prenantes. Certes, on note une relative facilité quant à la finalité du CFR, mais la question du dénouement d’une énigme qui ne déçoive pas est toujours très délicate. Surtout, en critiquant le respect sacro-saint des Etats-Unis pour leur constitution, Bello témoigne d’un engagement profondément humaniste, universaliste, au risque néanmoins, outre la validation historique implicite de l’idéologie occidentale, d’un éloge du relativisme culturel, comme une façon de compenser la première donnée. D’autant que le dénouement du roman est tellement ouvert qu’il en apparaît relativement consensuel.