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LE MONDE, LA CHAIR ET LE DIABLE
samedi 29 août 2015, par
MacDOUGALL (Ranald) (1915-1973)
Etats-Unis, 1959, The Word, the Flesh and the Devil
Harry Belafonte, Inger Stevens, Mel Ferrer
Employé d’une compagnie minière des Appalaches, Ralph Burton travaille à la vérification d’une galerie non-exploitée quand un effondrement le fait prisonnier. Dans un premier temps, il entend les pompes et les secours creuser plusieurs jours durant, mais l’interruption de toute activité le pousse avec l’énergie du désespoir à trouver le moyen de sortir. Quand il y parvient, il découvre un monde vidé de toute vie dont il pousse l’exploration jusqu’à New York pas moins désertée. Dès les premières minutes, il en a les explications : pendant son séjour sous terre, une guerre nucléaire a eu lieu avec une arme nouvelle et un nuage radioactif a tué l’humanité. Malgré tout, Ralph ne perd pourtant pas espoir et sillonne les rues de Manhattan en appelant à l’aide. S’il lui faut bien se résoudre à accepter l’inacceptable, il n’abandonne pas toute raison de vivre et travaille à maintenir un semblant de civilisation tout en se mettant à l’écoute du monde via la radio. C’est la rencontre avec Sarah et bien après l’arrivée de Benson qui changent tout.
Fort justement le générique annonce le film comme « suggéré par une histoire de M. P. Shiel », sans doute s’agit-il Le Nuage pourpre, c’est du moins ce que tous s’accordent à dire. Il emprunte au livre certes l’idée du dernier homme [1] et surtout, à mon sens la question du rapport entre ce dernier homme avec la dernier femme. Il prend donc une orientation très différente du film de Kramer sorti la même année, Le Dernier rivage, qui met en scène la fin de l’humanité. Pourtant, n’en déplaise à Patrick Brion qui rédigea le dos de l’édition DVD pour Wild Side en 2012 ce n’est pas la menace du péril atomique qui est au cœur du film de MacDougall, même si certaines scènes, comme celle où Ralph Burton se trouve devant le mur d’Isaïe au siège de l’ONU, rappelle la promesse d’un monde sans guerre rendue encore plus fragile par la guerre froide.
La particularité du Monde, la chair et le diable, qui le distingue du Nuage pourpre comme du Dernier rivage, c’est que Ralph est noir et Sarah blanche. Dans l’Amérique des années 50 et 60 la question raciale est au cœur de la société, a fortiori en 1959 où la lutte pour les droits civiques s’est intensifiée depuis que Rosa Parks a refusé de laisser sa place dans un bus. Alors imaginer que les Adam et Eve d’un monde qui a basculé dans le gouffre puissent être un noir et une blanche, c’est bien vouloir dénoncer une ségrégation que tous les Blancs ne trouvent pas intolérables aux Etats-Unis. En ce sens, s’il est un film de Stanley Kramer dont il est plus proche, c’est de Devine qui vient dîner (1967) plus que du Dernier rivage, mais Le Monde... a dix ans d’avance. Un peu plus de vingt ans plus tard, à la fin des années 80, une photo de Jamie Lee Curtis dans les bras d’un sportif afro-américain déclenchera des vagues de haine, alors une amourette entre Belafonte et la blonde Inger Stevens en 1959...
Cependant, MacDougall n’a pas abordé le sujet sur l’angle naïf du "tout le monde est pareil" et du méchant blanc raciste qui vient perturber la love story. Il appelle plutôt à surmonter les codes sociaux puissamment ancrés en chacun : Ralph Burton n’ose pas renverser ces codes. S’il n’a absolument pas renoncé à sa fierté, sa liberté, il se refuse à franchir le rubicon que constitue l’union avec une femme blanche. Benson, campé par un formidable Mel Ferrer, ne s’oppose pas à lui parce qu’il est noir mais parce que Sarah est la seule femme. A noter que MacDougall ne réduit absolument pas celle-ci à une objet que l’on possède.
Alors j’ai du mal à voir en quoi Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon trouvent ce film extrêmement stupide [2]. Ils ne sont pas les seuls à lui tailler des croupières, car, contrairement à ce que voudrait faire croire Alain Schlokoff, rédacteur et fondateur de L’Ecran fantastique, dans un supplément du DVD néanmoins très intéressant, le film n’est pas unanimement apprécié. Jean-Pierre Andrevon, pourtant collaborateur de L’Ecran, exagère un peu quand il dit que la question du racisme est timidement abordée [3]. Elle est pourtant clairement posée, mais peut-être pas de manière vindicative mais elle l’est sans culpabilisation de la population blanche. J.-P. Andrevon évoque aussi un article des Cahiers du cinéma dans lequel Claude Chabrol considère clairement Le Monde... comme un modèle de ce qui ne faut pas faire. Avec des références comme celles-ci le cinéphile français a de quoi avoir un a priori bien négatif.
Pourtant, outre son approche de la question raciale américaine, je lui ai pour ma part trouvé des qualités (J.-P. Andrevon aussi), ce qui risque de contribuer à le descendre encore plus. Laissons de côté les 5 raisons de voir d’Arte que je vous déconseille de regarder (Les 5 raisons pas Arte bien sûr !) si vous ne voulez pas vous gâcher le film ne serait-ce qu’en le voyant comparer au Je suis une légende de Francis Lawrence. Le film de MacDougall brille par ses images d’un Manhattan déserté qui font oublier l’absence totale et illogique de cadavres, tournées à l’aube dans les rues autour de Wall Street notamment. En noir et blanc, car le film n’est pas en couleurs comme l’avance le Dictionnaire des films [4] dirigé par feu Bernard Rapp, il livre, en cinémascope s’il vous plait ce qui ne contribue pas que peu à leur qualité, des images urbaines encore plus extraordinaires et surtout beaucoup plus nombreuses que Le Dernier rivage. Sans être un chef d’oeuvre, Le Monde, la chair et le diable mérite d’être vu.
[1] Bien que Shiel ne soit pas le premier à avoir écrit un roman sur le dernier... cf Mary Shelley et son Dernier homme.
[2] 50 ans de cinéma américain, 1995, p.659.
[3] 100 ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction, 2013, p.664.
[4] Larousse, 2e éd., 1999, p.812.