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AVATAR

Retour à la forêt d’émeraude

samedi 2 janvier 2010, par von Bek

James CAMERON (1954-)

Etats-Unis, 2009

Sam Worthington, Sigourney Weaver, Zoe Saldana, Stephen Lang, Michelle Rodriguez, Giovanni Ribisi

S’il fallait rechercher une finalité commerciale au nouveau film de James Cameron, à part celle de rapporter quelque argent, c’est selon les dires mêmes de Sam Worthington, le premier rôle du film [1], celle de ramener le public dans les salles de cinéma en offrant un spectacle visuel à nul autre pareil et surtout dont la vision en Home Cinema n’apporterait pas les sensations équivalentes. Le but est atteint si l’on en juge de la recette estimée à 416 millions de dollars en l’espace d’une semaine [2], pour un budget officiel de 237 millions de dollars pour la seule réalisation.

Et pour ceux qui purent le regarder dans sa version 3-D, voire même en IMAX 3-D, ce fut assurément un spectacle prouvant une maîtrise exceptionnelle de la technologie informatique et utilisant un nouveau système de caméra virtuelle permettant de constater immédiatement l’insertion du jeu des acteurs filmés dans une captation des mouvements bien plus performantes que celle des derniers films de Robert Zemeckis, avec pour résultat une fluidité et un naturel bien plus importants. Le spectateur vit un enchantement de sensations, notamment quand les héros partent en piquet à dos de dragons ou s’élancent de branches en branches, et de couleur dans les forêts luxuriantes et luminescentes de la planète Pandora. Certains estomacs, un peu sensibles, supporteront plus ou moins le rendu, au besoin à coups de métopimazine, signe de l’efficacité de ces innovations. De là à dire que le film est à gerber... Le son Dolby-Surround achève de plonger le public au coeur du film dont les 160 minutes passent très bien. On peut certes regretter l’accentuation de la dérive spectaculaire du cinéma, acculé dans cette logique soit-disant par le développement du piratage mais surtout par le coût des places, on peut craindre la condamnation d’un cinéma moins tapageur à ne plus livrer que des productions télévisées, mais on ne peut pas regretter la réalisation d’un film comme Avatar.

Malheureusement on peut en revanche regretter que le soin apporté à la confection d’un si bel objet ne se soit pas étendu à son contenu. James Cameron en est aussi le père, et comme dans les autres films dont il assure la réalisation comme le scénario (cf. Abyss), le ressort de ce dernier s’avère souvent gentillet et moralisateur. Dans le cas d’Avatar, l’histoire plonge dans une morale abyssale. Jake Sully, ancien marine désormais en fauteuil roulant, prend la place de son frère jumeau dans une mission sur la lointaine planète Pandora. Il doit, sous la direction de la xenobotaniste Grace Augustine, rentrer en contact avec les autochtones, les Naavis, par l’intermédiaire de Naavis artificiellement créés et contrôlés à distance [3], afin de les amadouer pour obtenir l’exploitation d’un minerai rare et extrêmement précieux. Dès son arrivée, il se laisse pourtant suborner par le colonel responsable de la sécurité de l’exploitation minière qui le convainc de jouer le rôle d’agent de renseignement en vue d’un éventuel usage de la force. Cependant lors de sa première sortie sur le terrain, Jake se retrouve seul en pleine jungle et ne doit sa survie que grâce à l’intervention de la Naavi Neytiri qui l’amène à sa tribu en dépit de l’hostilité de celle-ci envers les humains parce que Jake semble marqué du signe de la déesse-mère Eywa. Bien entendu, ce qui devait arriver, arriva : Jake se prend au jeu, trop content par ailleurs de récupérer l’usage de ses jambes par avatar interposé, et s’intègre à la tribu au point de tomber amoureux de Neytiri mais le mal est fait : ses renseignements permettent au colonel Quaritch d’attaquer les Naavi. Il appartient à Jake d’assumer la direction de la résistance pour se faire pardonner.

La forme du film ne partage donc pas son innovation avec le scénario. Des autochtones, non osons plutôt le terme d’indigènes, des indigènes donc vivant en symbiose avec la nature, persécutés par de méchants colonisateurs convoitant les richesses naturelles et donc menaçant l’environnement, mais qui reçoivent l’assistance d’un transfuge (ou d’un renégat, c’est selon), ce n’est pas franchement nouveau. C’est un thème récurrent au Western comme à la SF. C’est l’histoire de Danse avec les loups (Kevin Costner, 1990), de La forêt d’émeraude (John Boorman, 1985). Ce dernier notamment vient à l’esprit à la vision de la luxuriance de Pandora. Rien de neuf sous le soleil, en dépit de la 3-D, si ce n’est une créativité visuelle ! Le seul poncif qu’évite James Cameron est celui de la liberté. Chose incroyable, le nom n’apparaît jamais.

D’aucuns arguent qu’Avatar est une fable, oubliant qu’une fable est rarement aussi manichéenne, sauf au cinéma, et qu’elle peut conduire à la mort son personnage principal. Dans le film de Cameron, on pourrait à la rigueur reprocher aux Naavis de refuser la venue d’étrangers sur leur planète et de choisir à la fin qui des humains a le droit de rester : faut-il y voir un appel à une immigration sélective et à l’éviction des étrangers troublions ? Ce serait sûrement prêter à Avatar un message politique qu’il n’a pas et ne partage pas. Les Naavi et leur mode de vie en une communauté en symbiose avec la nature (autre poncif de la SF, le principe de Gaïa fait son come back) constituent une utopie. C’est le retour du mythe du bon sauvage vivant en accord avec la nature et avec lui de son relativisme culturel, l’autre facette récurrente du cinéma américain avec son opposé et complément paradoxal, l’universalisme revendiqué par les valeurs du modèle. Comme il est visible que Cameron a cherché son inspiration du côté de l’Amazonie ou de l’Afrique équatoriale, il serait de bon ton de rappeler que les Indiens d’Amazonie, comme les Africains, ont, quand ils le pouvaient, cherché à adapter le milieu naturel et que, dans d’autres circonstances, ils le subissaient [4] !

A la fin James Cameron pourrait obtenir un effet inverse de celui souhaité sur le plan intellectuel : un message aussi tolérant, aussi gentillet digne des Walt Disney n’abuse plus beaucoup les gens aujourd’hui et la dévalorisation systématique de l’industrialisation et de la logique capitaliste - difficile d’y voir quelque chose de positifs de nos jours dira-t-on - est une vaste hypocrisie. Une condamnation globale de ce système n’a rien d’intelligente puisqu’elle méconnaît la formidable hausse de niveau de vie qu’elle a permise. La fable écolo-hippie ridiculise plus l’écologie qu’elle ne lui profite. Est-ce bien le moment ?

Reste à voir quelles inflexions James Cameron donnera à sa création puisqu’il avait prévu, dès juin 2006, de lui donner suite si le projet était un succès [5]. Pour le moment le réalisateur semble s’être attaqué à une adaptation du manga Gunnm.


[1« (on Avatar) It’s gotta hell of a lotta hype, I read all what was said yesterday about the trailer. I can see their point, but as I said, it’s not meant to be built for an Apple Mac, it’s built for IMAX, it’s built for 3D, that’s what he’s designed it for. He’s designed it to bring people back to the cinema. It’s interesting that he’s released that trailer and the next day, he shows it on IMAX. It’s one extreme to the other. We get the criticism and then we get the rave reviews of what it really looks like in its own formula. That’s obviously going to get people to think and go, ’Damn right ! I’m going to go and see this at the cinema.’ Jim has always said to me that he wants to bring people back to the movies, and he’s a smart enough man for that to be tactical. » cf. http://www.imdb.com/name/nm0941777/bio

[2Somme avancée par le site boxofficemojo.com à la date du 27 décembre 2009

[3Une idée déjà exploitée par Poul Anderson dans sa nouvelle « Call Me Joe » en 1957. Traduction sous le titre « Jupiter et les centaures ».

[4cf. Charles C. Mann, 1491, Albin Michel, 2005

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