Interférences

YOSS (1969-)

Cuba, c.1990-2002

Black Coat Press, coll. "Rivière Blanche", 2009, 180 p.

ISBN : 978-1-935558-02-6

Ce roman, traduit et présenté par Sylvie Miller, s’inscrit dans le prolongement direct de l’anthologie que cette dernière avait dirigée, Dimension latino, en 2007. Yoss, alias José Miguel Sanchez, était d’ailleurs déjà au sommaire, avec un texte, justement nommé « Interférences », qui constitue la première pièce de ce roman puzzle en trois parties. La première et la dernière furent écrites au début des années 1990, et la seconde en 2002, donnant l’occasion de les unifier. Le ton est clairement ironique, et rend la lecture extrêmement fluide et plaisante. S’il est un personnage principal de ce court roman, c’est indéniablement l’île de Cuba elle-même, et par contraste son puissant voisin du nord. Tous les petits travers quotidiens de la vie de ses habitants sont brocardés, mais d’une façon qui, loin du pamphlet polémique, respire l’empathie : le poids de la police, mais aussi sa relative tolérance ; la délation et la fertilité des rumeurs ; le confort brinquebalant ; la stature étouffante de Castro. De même, pour les Etats-Unis, loin d’apparaître par contraste comme un simple paradis de la consommation, leur mercantilisme ou l’existence du port d’arme généralisé sont dénoncés. Yoss renvoie en fait dos à dos les deux pays, aussi inefficaces face aux événements subis, capables d’ailleurs de collaborer scientifiquement en utilisant des méthodes similaires (dans « Les pièces ») et présentant tous deux des caricatures de démocratie.

L’ensemble apparaît ainsi extrêmement vivant, et la SF est bien présente. Dans « Les interférences », donc, un citoyen lambda réussit à brancher sa télévision, du fait d’une réparation pour le moins artisanale de l’antenne, sur les programmes de l’avenir. L’Etat cubain met rapidement la main sur ce procédé capital, s’en servant alors pour influencer la marche du monde, ce qui a le don d’irriter le puissant voisin du nord ; comme une métaphore de ce modèle révolutionnaire que le Cuba castriste a voulu endosser. « Les pièces », le second épisode, s’inscrit davantage dans un humour absurde, plus proche du fantastique. Un certain nombre d’habitants des Etats-Unis, surtout, mais aussi de Cuba, se retrouvent victimes d’une épidémie d’un genre inédit, qui les fait muter en objets, pièces d’artéfacts supposément extra-terrestres ou originaires du futur… Un des aspects les plus savoureux de ce récit réside dans les réactions des experts, politiciens, astrologues, religieux, chacun en prenant pour son grade ! Enfin, « Les cheminées » est une métaphore transparente du chauvinisme respectif des deux rivaux, plus largement même de la course aux armements qui caractérisa la période de la guerre froide, avec ces efforts toujours plus démesurés visant à édifier une cheminée plus haute que celle de son voisin. Le final est tout particulièrement glaçant, claire condamnation du système économique bureaucratique et de la dictature politique cubains.

Cette édition est complétée par un entretien de Sylvie Miller avec Yoss, permettant d’en savoir plus sur les influences de ce dernier, également auteur de littérature générale. On apprend d’ailleurs que la SF manifeste une vitalité certaine à Cuba, et les anthologies que Yoss y a dirigées suscitent en nous des envies renouvelées de traduction ! Deux nouvelles sont également fournies en bonus : « Ils étaient venus » garde sa finalité mystérieuse, mais les innombrables arrivées d’extra-terrestres sur Terre sont un bon révélateur de l’imagination fertile et attachante de l’auteur. Quant à « Seppuku », il ne s’agit aucunement d’un texte relevant de la SF, mais plutôt du roman historique, avec cet épisode d’un suicide collectif en plein cœur du Japon féodal.