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Les vestiges de l’aube
samedi 1er mai 2010, par
David S. KHARA
France, 2010
Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 216 p.
La collection noire de Rivière blanche, qui s’était déjà distinguée par la réjouissante série des Compagnons de l’ombre et le premier tome des aventures de Panthera, s’enrichit du premier roman de David S. Khara (DSK pour les intimes !), habilement illustré par Philippe Lemaire, le dessinateur des Confessions d’un vampire de Philippe Ward. Et de vampire, il en est justement question dans Les vestiges de l’aube, titre magnétique, éminemment propice au fantastique.
Il s’agit en fait d’un croisement entre le roman vampirique à la Anne Rice (Entretien avec un vampire tout particulièrement) et le polar US. Werner Von Lowinsky est en effet un vampire, né au début du XIXème siècle, et devenu mort vivant à l’époque de la guerre de sécession. Il vit depuis cloîtré dans un repaire souterrain, entouré de ses livres et relié au monde extérieur par le cinéma, la télévision et surtout internet. C’est par ce biais qu’il fait la connaissance de Barry Donovan, un inspecteur de la police new yorkaise, lesté d’un lourd passé. Ce dernier est en charge d’une enquête sur une série de meurtres réalisés dans la bourgeoisie de la mégapole, exécutés avec un savoir faire remarquable, pouvant aller jusqu’à une violence surhumaine…
Ce mélange fonctionne à merveille, à la fois en raison d’un scénario captivant conduit sans temps mort [1], distillant les informations biographiques petit à petit, et d’une écriture soignée qui met très bien en valeur, alternativement, les deux personnalités des personnages principaux. Le plus attirant est bien sûr Werner, aristocrate au langage châtié, à la fois cynique et sensible à l’humanité, un individu déjà décalé à l’âge industriel [2], romantique échoué dans le monde post 11 septembre (les attentats en question sont d’ailleurs ici évoqués aussi brièvement qu’efficacement). De son personnage de vampire, David S. Khara s’amuse à lui conserver certains des pouvoirs traditionnellement associés à l’espèce (la transformation animale ou gazeuse), en écarte d’autres (l’absence de reflet dans les miroirs) et en modifie quelques-uns (l’inutilité de boire le sang humain plusieurs années durant sans activité spécialement soutenue, ou l’invulnérabilité à toute arme).
Surtout, l’origine de sa transformation en fait véritablement une simple variante de l’humain, incarnation de son côté sombre, de la déshumanisation générée par l’âge industriel, mais sans jamais verser dans le manichéisme. Seule étrangeté, le fait que Werner ne découvre certaines de ses aptitudes qu’un siècle et demi après sa transformation… Comparativement, la figure de Barry apparaît inévitablement moins charismatique, mais son traumatisme ne le fait jamais sombrer dans le pathétique, et c’est surtout sa relation avec Werner qui donne tout son sens au roman. Une belle réussite, dont on attend avec intérêt les épisodes suivants !
[1] On se permettra cependant de relever un épisode qui frôle l’incohérence : dans la maison de Peralli, pourquoi, alors qu’un cadavre a été laissé dans un couloir et que des coups de feu se sont fait entendre, aucun homme de main ne vient voir ce qui se passe dans la pièce d’interrogatoire où les deux amis passent tout de même la nuit entière ?
[2] Loin du politiquement convenu, il critique la figure de Lincoln, se retrouvant ainsi sur la même longueur d’onde qu’un Howard Zinn.