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Le dernier homme de chair

samedi 8 mai 2010, par Maestro

Claude J. LEGRAND (-2009)

France, 2010

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 276 p.

ISBN : 978-1-935558-22-4

Claude J. Legrand, récemment décédé, fait partie de ces auteurs de la SF française restés majoritairement dans l’ombre, en dépit d’un talent bien réel. Il faut dire que l’homme n’a publié que très peu de roman, principalement Projet Nouvelle-Vénus dans la collection "Anticipation" du Fleuve noir. Le gros de sa production consiste en effet dans des nouvelles, souvent à chute. Elles furent publiées dans Fiction, quelques fanzines ou, surtout, des magazines de BD petit format qui ont fait le plaisir des lecteurs adolescents des années 70 ou 80, un support néanmoins ingrat dans la mesure où les BD attiraient prioritairement l’attention. Claude J. Legrand fut d’ailleurs scénariste de plusieurs d’entre-elles, comme Kabur d’Hyperborée, La brigade temporelle ou Jaleb le télépathe ; quelques nouvelles présentes ici sont justement des aventure de ces héros. C’est donc une très bonne initiative de la part de Rivière blanche de remettre en lumière un pan méconnu de la SF hexagonale, d’autant qu’un second volume est également annoncé.

Pour l’heure, 33 nouvelles composent Le dernier homme de chair. L’humour y est fréquemment un fil rouge, avec un thème de prédilection, celui de la mutation : « Sur Mesures », ou de la difficulté d’élever une petite fille dotée de pouvoirs démesurés, ainsi que le plus anecdotique « Surhomme » ou son proche cousin, « Salut, frère dinosaure ! » ; plus surprenant, les nouveaux parfums littéralement irrésistibles de « Chatteries ». Le naufrage d’extra-terrestres est également un bon moyen de susciter l’ironie, que ce soit avec le médecin de « Docteur cosmique », les occupants du « Vaisseau cosmique » à la taille drastiquement différente de la nôtre, « Le polymorphe » bien peu au fait de l’imagination humaine ou l’alien de « Otto de Wittenburg », où le personnage principal est un chien. On retrouve cette utilisation des animaux dans « Un si gentil lévrier », histoire bien menée de transfert homme-animal dans la lignée de Maurice Renard et du film Didier, et dans l’amusant « Le magicien ».

Mais Claude J. Legrand sait également se faire plus grave, reflet des tensions et des peurs de son temps, celui de la guerre froide, avec « John B. », dénonciation des discriminations anti-noires sur le mode de l’inversion, ou « Vingt-quatre heures », récit en forme de conte à rebours d’un homme qui éprouve en avance les douleurs accidentelles, y compris celles dues à l’atome… Exemple d’ironie mordante, « Hi hi ! Le soleil luit » s’en prend à la volonté d’expansion d’une entreprise de clubs de vacances, reflet de la recherche aveugle de profit. « Les Saint-Bernard de Mars » est à cet égard un des meilleurs récits, véritablement touchant en plus d’avoir comme astronaute principal un Africain du Kenya, premier homme à marcher sur Mars. « L’évasion » explore une veine plus douce amère, reflet de ce désir de retour à la terre post 68 face à une société urbanisée de plus en plus déshumanisée et artificielle.

Côté space opera, on devine, par petites touches, à travers quelques textes, l’existence d’un empire galactique dont la planète principale se nommerait Central. Cet empire a besoin de veilleurs à ses frontières pour prévenir une possible invasion extra-terrestre (les deux textes complémentaires « Androïde tous usages », sur un mode tragi-comique, et « Frontière cosmique », plus inquiétant) ; certains de ses habitants se retrouvent même échoués sur Terre dans le sympathique « Six naufragés », explication d’un des événements contemporains ayant suscité le plus de théories. Le texte éponyme, par contre, est traité bien trop rapidement, alors que l’idée de départ était très intéressante. Autre point faible, « Planète en péril », absolument non crédible en raison du temps mis par les messages entre étoiles pour circuler, la Terre entière se laissant prendre au jeu avant qu’un unique astronome ne plaide dans le désert…

On trouve également quelques histoires plus inattendues, ainsi de « Une simple bouffée de musicaline », écrit plutôt dans les années 70 que dans les années 60, comme incline à le penser Jean-Marc Lofficier (l’opposition entre les deux blocs y est qualifiée de trentenaire) : il s’agit d’une histoire d’espionnage, à la OSS 117, dont le dénouement s’inscrit en fait dans ces questionnements sur le réel chers à Dick. On retrouve d’ailleurs l’ombre de Dick dans d’autres nouvelles, « Playback » ou le bref « Cycle ». « Zombie » et son histoire de réincarnation n’est pas non plus sans évoquer le huis clos des Dix petits nègres d’Agatha Christie. Quant à « Mes copains de Chez Joey », c’est une savoureuse mise en abyme de la BD et de son infériorisation vis-à-vis de la littérature « noble ». Claude J. Legrand, sans révolutionner la SF, parvient ainsi à décliner des problématiques souvent assez classiques, mais en les personnalisant suffisamment pour les rendre attractives.

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