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Dimension Alain Dorémieux
samedi 15 mai 2010, par
Alain DOREMIEUX (1933-1998) & Richard COMBALLOT (1965 -)
France, 2010
Black Coat Press, coll. Rivière blanche, 378 p.
ISBN : 978-1-935558-09-5
On ne présente plus l’érudition de Richard Comballot quant à la connaissance de la SF française, ainsi que la boulimie de projets qu’il est capable d’enfanter. Citons entre autre ses recueils de nouvelles à la parution malheureusement interrompue, Les enfants du mirage, ou ses passionnantes interviews parues dans la revue Bifrost (récemment compilées pour certaines d’entre elles dans Voix du futur). En dépit de leur qualité reconnue, quelques-unes de ces réalisations ne sont pas acceptées par des éditeurs dominants, et trouvent heureusement refuge chez Rivière blanche, dont le catalogue de plus en plus brillant inspire désormais autant de respect que n’importe quelle autre maison distribuée, elle, en librairie. Ce fut le cas avec l’anthologie hommage à Philip K. Dick, Dimension Philip K. Dick, ça l’est à nouveau pour ce splendide mausolée à Alain Dorémieux, une figure visiblement en partie oubliée de nos jours. Et pourtant, sa contribution à la SF française de l’après-guerre est considérable : outre son talent d’auteur, on lui doit un nombre impressionnant d’anthologies, ainsi que la direction de la mythique revue Fiction pendant une bonne vingtaine d’années, ce qui lui a permis de mettre le pied à l’étrier à nombre d’écrivains désormais reconnus. En ouverture, la préface de Jean-Pierre Andrevon au livre d’or qui fut consacrée à Dorémieux à la fin des années 1970 est republiée et complétée : texte touchant, sincère, et qui retrace avec précision l’itinéraire de l’homme et de l’artiste. Le volume s’articule ensuite en trois ensembles distincts.
Le premier, le plus copieux, est consacré aux propres écrits d’Alain Dorémieux. Dix nouvelles sont donc proposées, certaines jamais republiées depuis leur première parution, d’autres ayant déjà figurées au sommaire de certaines anthologies (on pense à Les mosaïques du temps, par exemple). On y trouve, ainsi que l’a parfaitement mis en lumière Andrevon, un thème particulièrement récurrent, la femme, séductrice mais aussi fatale. Elle est au centre de son texte le plus célèbre, « La Vana », ainsi que des récits qui lui sont apparentés (le peu convaincant « Les plaisirs de la Terre » et « Journal d’une jeune fille du XXVème siècle », ode à l’amour charnel contre tous les puritanismes), tout comme l’horreur végétale d’« Aurora » ou du « Cauchemar vert » ; deux des figures les plus effrayantes de cette obsession sont sans nul doute la créature de « Au bout du rêve », co-écrit avec Jean-Pierre Andrevon, jolie synthèse des angoisses inconscientes de l’un et de celles, anticapitalistes, de l’autre, ainsi que l’assassin amoureux de « M’éveiller à nouveau près de toi, mon amour ». Dorémieux, loin de s’enfermer dans un genre, se plaisait à voyager dans divers styles : le fantastique très XIXème de « Le ballet », le récit plus proche des univers d’Abraham Merritt de « La porte des mondes », ou l’amusant conte de fées contemporain de « Chère salamandre ! ». Points forts de ce volume, les débuts de ses deux derniers romans, restés inachevés et donc inédits, sont publiés. Scarlet Dream, co-écrit avec sa dernière compagne, Fabienne Leloup (dont l’écriture est particulièrement élégante), relate les débuts de leur rencontre pas encore physique, et tout comme Dans quelle caverne obscure ?, il est très autobiographique.
Le second ensemble réunit deux préfaces rédigées par Dorémieux pour des anthologies, l’une consacrée à Fritz Leiber -avec qui il partage un certain nombre de traits- et l’autre au couple Kuttner / Moore. Enfin, dans une dernière partie, certains de ses amis et proches livrent leurs souvenirs : Philippe Curval par le biais d’une interview, Daniel Walther avec une nouvelle reprenant certaines des figures de l’univers de Dorémieux ; mais le texte le plus poignant est celui de la fille de sa seconde femme, Nathalie Serval, qui dans « La Maison-D(orém)ieu(x) », évoque les résidences successives de la famille au Pays basque, cette terre qu’il a tant aimé et où la Terre se résume… Une lettre à sa belle fille et le début d’un journal intime, tous deux datés du milieu des années 80, complètent cette mise à nu. Une bibliographie exhaustive conclut cette exploration dans la Dimension Alain Dorémieux. Alain Dorémieux ne peut que gagner à être redécouvert grâce à ce volume, et avec lui tout un pan de la SF, intimiste, poétique, introvertie, mais également ouvert à l’autre, pour le meilleur et pour le pire, incisif résumé de l’âme des relations humaines.