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C’est la Lune finale
samedi 21 août 2010, par
Bernard BLANC (1951-), dir.
France, 1980
ENCRE, coll. "L’utopie tout de suite", 204 p.
Cette anthologie coordonnée par Bernard Blanc est un des derniers feux engendrés par ce courant aussi intense qu’éphémère de la SF politique française. Au sommaire, on retrouve des habitués du genre, Christin, Douay, Frémion, Jeury ou Benoît-Jeannin, ainsi que des illustrations de divers artistes, le tout sur le thème de l’autogestion. On y retrouve cet esprit pessimiste qui semble consubstantiel à ce courant littéraire.
Dans « Le Soviet de Rétrograd », Yves Frémion imagine la récupération de l’autogestion comme simple formule pour ravaler la façade des dirigeants libéraux et déconsidérer l’idée d’émancipation qu’elle véhicule, avec la victoire d’un fascisme soft ; ce texte dense anticipe ainsi avec beaucoup de pertinence sur le marketing politique et la dénaturation du sens des mots de la libération, la torture subie en prison par les adversaires violents de l’Etat (la RAF dans le rétroviseur et Action directe devant le pare brise). Daniel Martinange avec « Comme un soleil qui explose » offre comme une préscience de l’arrivée des socialistes au pouvoir et des déceptions ultérieures, puisque dans sa nouvelle, la construction du socialisme se heurte au capitalisme comme système mondial et aux compromis passés par un gouvernement qui n’est pas sans évoquer celui du Front populaire, entraînant la réaction individuelle d’un ouvrier qui va jusqu’à l’assassinat… On pourrait également citer Benoît-Jeannin, qui, dans « Sans temps morts et sans entraves », fait du cinéma en mode autogestionnaire un spectacle sans spectacle, sans vedettes ni acteurs mis trop en avant, aboutissant à un art conformiste, consensuel, bref une négation de lui-même ; au passage, l’auteur imagine une sexualité libérée de toute contrainte familiale, allant jusqu’à la quasi disparition de l’inceste.
Yves-Olivier Martin est moins sombre, puisque dans « L’éclatement », la révolution manque d’être court-circuitée par les forces contre révolutionnaires, finalement mises en échec… jusqu’à la prochaine tentative. Bien que manquant de fluidité, un texte assez réaliste.Pierre Christin, avec « Loto-gestion », se fait également plus serein, son tableau d’une ENA devenant de plus en plus démocratique pouvant apparaître comme prometteur, en dépit d’un contenu de cours assez fumeux. De même pour Michel Jeury : « Le voyage de la morille », dans un cadre rural qu’affectionne l’auteur, est une ode à l’autogestion à la base et au troc destiné à remplacer (un peu naïvement ?) le commerce. Le « Chacun de nous est une minorité ethnique » de René Durand ne marque par contre guère les esprits, sa dilution du pouvoir étatique n’étant remplacé que par un retour à la vie archaïque et pastorale sans grand avenir. Le plus optimiste est toutefois Pierre Larose : avec « Planétaires de la galaxie, unissez-vous ! », il est le seul à transposer l’action dans le vaste espace. Bien que sa relation d’une révolution éclatant sur une planète colonisée par la Terre, et sur laquelle le processus d’exploitation capitaliste avait été importé, souffre d’un manque partiel de crédibilité et d’une narration trop scolaire (la Terre devenue empire), il propose un tableau fort intéressant de la société autogestionnaire qui se met en place, où les points positifs l’emportent sur le plus discutable (procréation in vitro à outrance et eugénisme), tandis que la Terre s’est suicidée par l’atome.
D’autres auteurs retournent complètement le concept d’autogestion en en faisant un outil de l’exploitation patronale. « La révolution patauge dans le yaourt » de Bernard Blanc imagine une « usine du XXIe siècle » de fabrication de yaourts, qui emploierait des victimes d’accidents industriels (seveso, pour ne pas les nommer) afin de se baigner « librement » dans des piscines de lait, ce dernier devenant yaourt par le biais des contaminations chimiques touchant ces exploités du futur… Une vision effrayante, mais trop caricaturale, qui touche toutefois juste quant au chômage permanent et au poids qu’il fait peser sur le prolétariat. De même, « Une vie sans problèmes », de Muriel Favarel, est à la limite du hors sujet, recyclant le thème de la révolte des ordinateurs pour dénoncer, sans beaucoup de nuance, l’exploitation des travailleurs, contraint de poursuivre leur labeur quotidien mais désormais privé de leur liberté de vie privée. Quant à « Variation autour d’un soupir », signée Jean-Pierre Hubert, il s’agit davantage d’une anticipation des différentes formes d’euthanasie possibles dans un proche avenir que d’autogestion de la mort, curieux mariage s’il en est. Terminons avec la nouvelle de Francis Jacomin, « Grève générale », la touche d’humour de l’anthologie, puisqu’elle met en scène la montée des revendications et le désir d’autogestion des organes du corps d’un individu !