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La tour de Babylone
samedi 10 juillet 2010, par
Ted CHIANG (1967-)
Etats-Unis, 2002, Stories of your life and others
Ted Chiang est un auteur aussi rare que précieux, ainsi que l’illustre ce premier recueil en langue française : les huit nouvelles qui le composent, couvrant la période 1990-2002, ont en effet toutes obtenues des prix divers.
Plusieurs privilégient une hard science globale ou à base de mathématiques : c’est le cas de « Comprends », une inversion de la problématique du célèbre Des fleurs pour Algernon en un chemin risquée vers la surhumanité, et de « Division par zéro », une réflexion sur la possible vacuité théorique des mathématiques. Le hic, c’est que ce dernier texte manque d’humanité, et on ne mentionnera qu’en passant « L’évolution de la science humaine », bien trop court et aride pour mériter le détour. Dans un registre similaire, « L’histoire de ta vie » est bien plus réjouissant. A travers la rencontre avec une espèce extra-terrestre au mode de communication basée sur des dessins complexes, c’est à une toute autre perception du temps que l’on est confronté, l’intrigue familiale racontée en parallèle en acquérant dès lors une profondeur et un dénouement supérieurs. Assurément un des meilleurs textes du recueil.
Autre belle réussite, la nouvelle éponyme, une variante du mythe de la tour de Babel qui peut être rapprochée de « Mittelwelt » signé Stephen Baxter, dans la mesure où Ted Chiang y décrit un univers respectant au pied de la lettre des conceptions erronées, même si l’instrument de référence choisi par l’auteur, très utilisé par les Mésopotamiens, ne correspond pas stricto sensu à leur vision de l’univers. On peut en rapprocher « Soixante-douze lettres », qui décrit un univers parallèle steampunk, une fin de XIXème siècle dominée par l’existence d’automates, qui ne doivent leur vitalité qu’à la science des lettres, venue en droite ligne des mythes hébreux sur le golem ; les recherches du principal personnage sur une possible extinction de l’espèce humaine vont finalement aboutir à faire triompher une vision réformiste du capitalisme face à des élites férues d’eugénisme…
Dans un registre plus fantastique, « L’Enfer, quand Dieu n’est pas présent » postule l’existence du paradis et de l’enfer, mais dans une vision plutôt calviniste : les desseins de Dieu sont impénétrables, ce qui explique que les visites d’anges sur Terre se soldent toujours par des miraculés et des assassinés… De quoi nourrir une véritable haine face à l’injustice divine. Quant à « Aimer ce que l’on voit : un documentaire », elle imagine de façon polyphonique l’utilisation dans la société étatsunienne d’un procédé nanotechnologique, la calliagnosie, permettant de ne pas faire de distinction sur le seul physique des individus : tous les aspects du problème sont ainsi abordés, sur un registre très vivant, pour finalement conclure à la nécessité du libre arbitre de chacun… On en retiendra néanmoins l’accent mis à un moment sur les possibilités accrues de manipulation et d’aliénation qu’autorisent les nanotechnologies. Une science-fiction exigeante, donc, mais qui ne manque pas d’un certain panache, quand elle ne verse pas dans l’ardu.