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Deux soleils pour Artuby
samedi 4 septembre 2010, par
Bernard VILLARET (1909-)
France, 1971
Bernard Villaret est un auteur qui a traversé la SF française quelques années durant, sans apparemment laisser une trace profonde dans le souvenir collectif. Et pourtant, si Mort au champ d’étoiles ne m’avait pas convaincu, son successeur s’avère un peu plus réussi, ce dont témoigne à sa manière cette réédition à vingt-cinq d’intervalle…
Le roman se présente comme la biographie d’un dirigeant révolutionnaire du XXVIIIème siècle, Jan Artuby, écrite par son meilleur ami, et intégrant divers documents, dans un souci louable de réalisme illusoire. Dans un style direct, le plus souvent dépouillé, mais à la simplicité proche d’un Barjavel, avec en outre quelques clins d’œil sympathiques au genre, on est entraîné dans un univers relativement détaillé, grâce en particulier à un copieux exposé historique : une histoire qui renvoie dos à dos capitalisme et communisme (« un Etat communiste ne pouvait être que totalitaire », p.37), avec son lot de décadence liée à la mécanisation et à l’informatisations accrues, de révolutions, de conquêtes spatiales, de catastrophes naturelles et de coups d’Etat, mais aussi de clichés (invasion « asiate », modèle suisse qui résiste face à l’anarchie mondiale…), une légère préférence étant accordée au système capitaliste (ennui accompagnant automatiquement la baisse du temps de travail, profit individuel comme seul stimulant de la production).
En la personne d’Artuby, on retrouve un certain esprit surréaliste, nourrie également de praxis marxiste, d’une pincée de fouriérisme et d’influence de 68 (reprise des slogans « soyons réalistes, exigeons l’impossible » et « l’imagination prend le pouvoir », p.50). Le choix des dates de sa vie ne semble d’ailleurs pas totalement innocent : naissance en 2751, dix-neuf ans en 2768, activisme dans les années 2770… Voici donc un révolutionnaire radical, foncièrement anarchiste, partisan d’une non spécialisation de l’homme, au portrait mêlé de poésie (la Beauté comme idéal suprême), dont la devise est « Prolétaires-artistes de toutes les Etoiles, unissez-vous ! ». La seconde partie du livre, consacrée au séjour d’Artuby sur une planète polynésienne, est malheureusement nettement moins intéressante, reflet du propre vécu de l’auteur.
On ne peut toutefois se défaire de l’idée selon laquelle un certain esprit réactionnaire flotte sur le roman : outre les critiques définitives du communisme, les syndicats sont également condamnés, la croyance en une divinité sous-jacente, et le retour à l’art figuratif prôné par Artuby face à l’art abstrait dominant semble résonner avec la défense officielle de l’art contemporain du début des années 70. Au passage, Bernard Villaret nous offre quelques scènes saisissantes, ainsi de la planète maorie, où seule la bande équatoriale est habitable, ou de la planète Mendizabal, sur laquelle l’espèce dominante a disparu.