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Dimension Suisse
de grands suisses
samedi 17 juillet 2010, par
Vincent GESSLER (1976-) & Anthony VALLAT (1972-), anthologistes
France, 2010
Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 276 p.
ISBN : 978-1-935558-25-5
Dimension Suisse poursuit une des subdivisions les plus remarquables de Rivière blanche, dédiée aux anthologies centrées sur une aire géographique. Après l’Amérique latine, l’Espagne, l’URSS et la Russie, voici donc la Suisse francophone, une zone que les amateurs de SF connaissent essentiellement par la présence de la Maison d’Ailleurs, créée par Pierre Versins. Contrairement aux récents Défricheurs d’imaginaire, qui portaient un regard historique sur cette SF suisse, le recueil imaginé par Vincent Gessler (auteur du récent Cygnis chez L’Atalante) et Anthony Vallat ne contient que des nouvelles contemporaines.
Du côté de la SF proprement dite, les textes sont de grande qualité. « Ceux qui marchent », de Sébastien Gollut, s’inscrit ainsi dans une veine similaire à celle du Monde inverti de Christopher Priest : son peuple en marche pour survivre dans un monde inconnu grâce à la solidarité de tous possède d’ailleurs un tel potentiel qu’on ne peut que déplorer le caractère bien trop bref de son récit. Autre texte coup de poing, « L’Autre Moi » de Lucas Moreno, qui imagine le traitement du traumatisme d’un psychotique par remontée dans son enfance : l’on découvre finalement que l’appel à la résistance face aux avanies subies de la part d’un père déséquilibré produit un destin encore pire que l’original, une vision aussi marquante qu’étouffante. « Divergence », de Daniel Alhadeff, est plus classique mais fort agréable de par sa dimension rétro assumée. Sa narratrice, sise en 1907, est en effet dotée de pouvoirs lui permettant de naviguer entre les plans, et peut-être, grâce à l’apport de la science, de triompher d’un amour impossible. Robin Tecon, avec « Les miens », signe par contre une des meilleures nouvelles de l’anthologie. La terraformation qu’il imagine, celle d’une planète déjà habitée par une espèce intelligente, est le reflet parfait de la destruction écologique de la Terre, traduite à travers des personnages profondément humains. On peut en rapprocher « Homéostasie », de Laurence Suhner, tout aussi pessimiste avec son tableau d’une Terre en proie à une neige noire destructrice, son personnage de médium quasiment dépressive et son inversion percutante du concept de Gaïa. Quant à « Remugle en neurocratie », de François Rouiller, c’est une critique implacable de la complicité des scientifiques avec les donneurs d’ordre, qu’ils soient économiques ou, ici, politiques. La volonté de manipulation manifestée par un président autocrate a beau finir dans le mur, le désintérêt pour la politique au sens noble du terme et le secret maintenu sur la tentative d’orienter les votes n’ont pas de quoi alimenter l’optimisme.
Dans une optique plus optimiste, justement, « Jay, le basset et le gitan », de Denis Roditi, sous des airs psychédéliques, invite à la résistance face au totalitarisme de la société de l’information et de sa consommation, y compris par de petits actes de rébellion individuels. Il en est de même pour « Partir, c’est mourir un peu », de Jean-François Thomas, antidote à une vision excessivement positive de la téléportation, l’occasion en outre d’une critique de l’institution militaire. On demeurera par contre plus dubitatif face à « Au-dessus de Shibuya », signé Sébastien Cevey, une évocation de la généralisation du virtuel au cœur de notre réalité quotidienne, l’occasion surtout de quelques visions oniriques fortes et vibrantes à défaut de bénéficier d’une réflexion plus approfondie sur le sujet. De même, le court poème de Tom Haas, « J’ai croisé des vaisseaux », oscille entre rimes faciles, naïves, et passages plus inspirés.
Le fantastique est également représenté avec talent. Ainsi, André Ourednik, avec « Cette ville qu’ils appellent Sanzu », offre une vision de l’enfer originale et puissante, se rapprochant même de l’inspiration du Brussolo de Vue en coupe d’une ville malade. « Puni », de Thibaut Kaeser, est plus classique, mais son texte s’intéresse à la perte tragique d’un enfant sur un mode indéniablement touchant. Quant à « Parfois mon reflet », de Yves Renaud, c’est le texte le moins convaincant dans cette veine car le moins clair.
Pour compléter un ensemble qui impressionne par sa constance qualitative, Jean-François Thomas, architecte des Défricheurs d’imaginaire, livre une intéressante analyse de la SF romande intitulée « La science-fiction suisse : alarmes, alertes et dangers, ou le charme concret de l’anti-utopie ». Un dernier mot sur la couverture du livre, œuvre de Sylvain Demierre, autre Suisse qui décline avec brio une tradition classique de l’illustration de SF.