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Défricheurs d’imaginaire

Une anthologie historique de science-fiction suisse romande

samedi 4 septembre 2010, par Maestro

Jean-François THOMAS (1952-), dir.

Suisse, 2009

Bernard Campiche éditeur, coll. "camPoche", 530 p.

ISBN : 978-2-88241-231-7

Défricheurs d’imaginaire constitue l’indispensable pendant de Dimension Suisse afin de découvrir la richesse de la SF suisse francophone. Vingt-et-un textes sont réunis pour un panorama couvrant les années 1884 à 2004, allant jusqu’à inclure quelques chansons de Jean Villard Gilles (sur la peur de la destruction atomique ou les OVNI).

Si les textes antérieurs à la Seconde Guerre mondiale sont parfois un peu décevants (ainsi de « L’autopsie du docteur Z*** », d’Edouard Rod, qui fait parler l’âme d’un suicidé après sa mort corporelle quelques jours durant, histoire de rendre la mort moins effrayante), la plupart partagent des thématiques proches de celles de leurs confrères français. « Anthéa ou l’étrange planète », de Michel Epuy (déjà remarqué pour sa publication au sein des Chasseurs de chimères de Serge Lehman) et « Les anekphantes » de Roger Farney imaginent ainsi des formes de vie autres, à la charnière des règnes animal et végétal pour le premier, dans l’infiniment petit pour le second en quête d’une transcendance inaccessible à l’humanité. Quant à Léon Bopp, avec « Une fable », daté de 1940, il livre un texte à la truculence nourrie de néologismes, proche d’Alfred Jarry, et qui tourne en dérision la guerre alors omniprésente. Bien que daté de 1949, « Les secrets de monsieur Merlin » peut-être rapproché de l’avant Seconde Guerre, évoquant le pouvoir de la science (ici, la télévision à peine extrapolée) et adaptant de jolie manière le mythe arthurien.

On bondit ensuite vers la fin des années 70 et la décennie 80, avec la dystopie de Gabrielle Faure, « Homo ludens », aussi brève que forte, l’histoire d’amour tragique de Marie-Claire Dewarrat (« Le trou », à la fin trop allusive) ou « La maison de l’araignée » de Wildy Petoud, plus cyberpunk et déjantée jusque dans la forme (cette nouvelle avait d’ailleurs été retenue par Philippe Curval pour son anthologie Superfuturs, qui prolongeait l’initiative de Futurs au présent). Deux textes de cette époque sont à rapprocher en cela qu’ils incarnent des déclinaisons de la mythologie chrétienne, « Ce jour-là » insistant sur la vacuité de la vie quotidienne dans nos sociétés occidentales et « Ego lane » développant le caractère inévitable du péché originel. De ce deuxième ensemble, seul « Martien vole » de Rolf Kesselring (le fameux éditeur de la SF politique française) est véritablement décevant : certes, il est assurément sympathique et amusant, mais bien trop inspiré du Martiens, go home de Fredric Brown pour surprendre.

Pour la dernière décennie, la sélection est particulièrement convaincante. Ainsi, « Château d’eau », de Bernard Comment, est une excellente nouvelle qui tourne en dérision le particularisme suisse, cette île sise au milieu de l’Europe qui finit comme l’Atlantide. Si ce texte est le plus marqué nationalement, « Granules » de Luezior-Dessibourg est sans aucun doute le plus militant, dénonçant la standardisation de l’industrie agro-alimentaire et plus largement de la vie dans un monde de plus en plus artificiel. Le plus touchant, c’est « Mais aussi un cadenas, des menottes, une bille et un désir » signé Sylvie Neeman Romascano, un ode à l’écriture qui se rapproche par bien des aspects des Mémoires du futur de John Atkins. La SF suisse apparaît finalement profondément humaniste, et les textes de François Rouiller (également illustrateur de l’anthologie) et Georges Panchard (auteur de Forteresse chez Ailleurs et demain) ne font que confirmer ce constat. Du premier, « Délocalisation » est une poignante autant que saisissante histoire des dérèglements provoqués par la manipulation de la physique quantique, tandis que « Comme une fumée », tout aussi plein d’empathie, est le récit d’un homme dont la timidité et/ou l’insipidité le rendent littéralement invisible, générant chez lui la tentation de braver l’interdit.

On l’aura compris, Dimension Suisse et Défricheurs d’imaginaire sont deux lectures complémentaires et roboratives, apportant beaucoup à une meilleure connaissance de la SF francophone.

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