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Blitz

La vie en temps de guerre

samedi 1er janvier 2011, par von Bek

Connie WILLIS (1945-)

Etats-Unis, 2010, 2 vol.

Treize ans après l’excellent Sans parler du chien, Connie Willis renoue avec la fine équipe qui lui a apporté la renommée. Pour les historiens d’Oxford, trois ans se sont écoulés depuis les évènements en lien avec une fameuse potiche et Ned Henry et Verity Kindle ne sont plus de la partie même s’il est toujours question de la seconde guerre mondiale, des bombardements allemands sur l’Angleterre et d’une cathédrale. Cette fois c’est surtout Londres qui est concernée et non plus Coventry.

Et c’est à une véritable invasion que se préparent les étudiants avec un planning très chargé : Merope, occupée pour sa première mission à étudier les enfants évacués de Londres vers la campagne pendant la drôle de guerre, espère bien obtenir ensuite une autorisation pour assister aux fêtes spontanées des 7 et 8 mai 1945 ; Michael Davis se prépare à partir pour Pearl Harbor avant d’assister à la bataille des Ardennes et à l’évacuation de Dunkerque en se faisant implanter un accent lingual américain afin d’étudier la nature des héros de guerre ; Polly Churchill termine une mission avant d’en commencer une autre au début du Blitz pour compléter son étude sur les réactions et l’adaptation humaines confrontées à des bombardements terrorisants ; Gerald Phibbs fanfaronne sur l’importance de sa mission pour l’issue de la guerre et Charles est en pleine gentryfication pour affronter la vie sociale des cercles militaires de Singapour. Denys Atheston doit étudier les préparatifs du débarquement. Il n’y a guère que Colin Temple, celui-là même qui se faufila dans le XIVe siècle du Grand livre, à être déçu de son affectation, n’en ayant pas puisque n’étant pas encore étudiant, mais il brûle de rejoindre les beaux yeux de Polly sous les bombes allemandes. Il ne va cependant pas être le seul insatisfait car, au dernier moment et sans justification, le professeur Dunworthy bouleverse les ordres de séjour et dates de départ. Michael Davis, pardon Mike Davis, se retrouve avec son accent américain expédié vers Douvres en 1940, du moins le croît-il.

Loin de se retrouver dans le port anglais pour assister au retour des premiers bateaux de civils volontaires pour évacuer les soldats britanniques encerclés à Dunkerque, le jeune homme échoue près du petit port de pêche de Saltram-on-Sea après le début des opérations (mai-juin 1940). L’histoire, désireuse semble-t-il de protéger certains évènements majeurs de l’incursion brouillonne des historiens, a parfois des réactions d’auto-défense excessives, mais jamais un tel glissement temporel n’avait eu lieu. Sauf que Polly Churchill, partie un peu avant mais arrivée un peu après (septembre 1940) se retrouve le Blitz déjà commencé. Merope, sous le pseudonyme d’Eileen O’Reilly avait, elle, déjà des problèmes avec les enfants dont elle a la charge, à commencer par la fratrie Hodbins, dont le parachutage sur l’Allemagne nazie pourrait bien à lui-seule provoquer la capitulation allemande. Malheureusement ses problèmes ne vont pas s’arranger car après avoir été coincée par une quarantaine destinée à contenir une épidémie de rougeole, Eileen constate avec terreur que son point de saut ne s’ouvre pas et qu’elle est coincée en 1940 en Angleterre, tout comme l’est Polly. Sans doute Mike Davis aurait-il préféré commencer par ce problème, mais il doit d’abord réussir à revenir sain et sauf de Dunkerque, un endroit où sa condition de voyageur temporel n’aurait jamais dû lui permettre d’aller, surtout pas pour y sauver un soldat tellement courageux qu’il en sauvera à son tour 519 autres. Le fait d’armes pourrait bien changer le cours de l’histoire.

En attendant, le trio d’historiens coincés dans le plus grand conflit de l’histoire du monde ne parade pas mais s’agite, à la recherche les uns des autres - ce qu’ils parviendront à achever à la fin de Blackout - dans le vain espoir d’utiliser leurs points de saut respectifs, puis de solutions pour parvenir à attirer l’attention de l’équipe d’extraction qui se fait sérieusement attendre. La nuit, après qu’a résonné l’alerte aérienne, dans les abris du métro londonien et en dépit de la troupe de théâtre amateur que Polly a intégrée, l’espoir diminue alors que la peur d’avoir changé le cours de la guerre augmente. D’autant que toutes les petites annonces de rendez-vous laissées dans les journaux, toutes les tentatives pour entrer en contact avec d’autres historiens sensés avoir visité la période avant eux présentent de sérieux aléas. Et la vie en temps de guerre n’est pas facile.

L’humour de Connie Willis aide le moral du lecteur à tenir bon et la lecture successive des presque 500 pages de Blackout suivi des plus de 600 pages d’All Clear n’est absolument pas morose, ni même longue pour qui a une bonne maîtrise de l’anglais. Il est même stupéfiant que le lecteur ne décroche pas, car somme toute le premier volume est un coup dans une fourmilière qui ne génère, semble-t-il au premier abord, que de la panique tandis que le deuxième volume est occupé pour une bonne partie par de vaines tentatives pour se tirer du chausse-trappe dans lequel vient tomber Dunworthy en personne. Le tout est soigneusement enrobé par une multitude de détails sur l’Angleterre plongée dans le Blitz qui laisse supposer une documentation impressionnante et explique les neufs années qui sépare ce roman - car c’est bien un seul livre ! - du précédent, Passage. Il est dommage que l’éditeur Ballantine n’ait pas pris autant de soin en constituant la jaquette de Blackout, car il a utilisé une photo de bombardiers quadrimoteurs américains (des B-17, j’en jurerais !) pour figurer les avions allemands du Blitz, tous bimoteurs (He-111 ou Do-17) à l’exception du Stuka.

En mariant cet humour et ces détails, qui cachent une intrigue savamment construite comme le lecteur en prend conscience progressivement, Connie Willis réussit un vibrant hommage au courage d’un peuple et un livre qui pourrait bien figurer dans la liste des nominés pour le prix Hugo !

Peut-être y verra-t-on aussi qu’une nouvelle histoire de voyage dans le temps, sans apport novateur et jouant, une nouvelle fois encore, sur la notion de causalité associée à la théorie du chaos, une petite nouveauté des voyages temporels davantage destinée à les mettre au goût du jour, mais que Poul Anderson et sa Patrouille du temps ou Ray Bradbury et son « Coup de tonnerre » avaient suggéré déjà depuis longtemps en insistant sur la complexité de la causalité. Les amoureux de théories alambiquées ne seront cependant pas forcément déçus par la lecture de Blackout et All Clear, mais ce n’est pas la partie la plus convaincante, aussi gentille soit-elle.

Toujours est-il que tout le monde n’appréciera sans doute pas ce nouvel opus willisien. Il faut d’abord un certain intérêt pour la période en particulier, et même pour l’Angleterre en général, pour adhérer au cadre de l’histoire. Anglophobes s’abstenir donc. Ce qui laissera quelques happy few pour lire ce livre (et sans doute peu de Français). Ceux qui par ailleurs n’auraient pas goûté au ton de Sans parler du chien se trouveront bien d’éviter les 1100 pages du livre. Nombre conséquent qui associé aux raisons précédentes risque fort d’engendrer des réticences pour une édition française. Pour les lecteurs les plus déterminés, résolus comme les Anglais sous les bombes, je peux leur promettre du rire, de la sueur, des larmes mais du plaisir.

Have a good read !


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