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Oppressions

dimanche 26 janvier 2020, par Maestro

Patrice QUELARD (1972-)

France, 2019

Autoédition, 158 pages.

Dans le domaine de l’autoédition, parrainée en l’occurrence par Amazon, plusieurs critiques déjà mises en ligne ont pu montrer que la qualité était souvent loin d’être au rendez-vous. Patrice Quélard, pour sa part, qui a également publié chez un éditeur (la coordination du fort recommandable Migrations du futur chez Arkuiris) est plein de bonnes intentions, et ses textes, généralement perfectibles, méritent toutefois qu’on s’y intéresse. Ce second recueil de nouvelles fait suite à un premier – que je n’ai pas encore lu – consacré lui aussi à la thématique de l’oppression, mais ciblée sur l’histoire. Ici, il est clairement question d’anticipation.

« Memento Mori » met en scène une ordure ordinaire, si j’ose dire, un policier qui semble concentrer tous les défauts (racisme, sexisme, etc…) et que l’on suit dans son existence quotidienne. Plus que la fin, ouvrant sur un fantastique valant jugement dans l’au-delà (comme pour compenser malgré tout l’absence de châtiment dans le réel), le texte vaut le détour par la collection que son sauveur lui fait découvrir, tournée vers la mort et les rites qui lui sont associés. « 270 nœuds sous les mers », comme son titre l’indique assez clairement, reproduit le point de départ du roman de Jules Verne – l’objet marin inconnu qui détruit des navires – pour en faire la seule solution restant pour contrer le réchauffement climatique, s’appuyer sur les morts… Un peu désespéré, tout comme « Walking Ghost Phase ». On est là dans une dystopie monochrome, excessivement angoissante, tant les éléments décrits semblent difficiles à imaginer ainsi surajoutés : des enfants soumis à une éducation où toute liberté d’expression, toute information sortant du cadre de l’orthodoxie politique, tout comportement échappant à un « politiquement correct » caricatural sont systématiquement traqués et réprimés, cela fait un peu beaucoup pour demeurer crédible.

« L’algorithme était (presque) parfait » est une nouvelle manquant de surprise, l’androïde mis en scène s’inscrivant surtout dans le cadre d’une concurrence entre multinationales ; l’ironie étant que les affaires l’emportent sur la justice, mais est-ce vraiment une révélation ? «  Alter human  » peut être mis en parallèle avec « Walking Ghost Phase ». Voilà en effet un monde où les souffrances fondamentales de l’humanité (liées à l’insatisfaction de se nourrir, boire, se soigner, etc…) ont été abolies, mais au prix d’une dictature « éclairée » pratiquant eugénisme, éradication des religions (sans tenir aucunement compte de la crédibilité d’une telle politique et des révoltes massives qu’elle entraînerait forcément). Bref, une simplification outrancière des enjeux et des perspectives, dont surgit toutefois l’éloge des différences, de ce qui est considéré comme anormalité, et l’appel à l’unité des handicapés, marginaux et autres « anormaux », réactualisation de l’espoir d’un Bakounine. «  Immor(t)alité » est tout aussi binaire, opposant profiteurs de l’immortalité et mortels traditionnels ; en guise de morale, l’idée qu’une mort annoncée pousse à profiter, créer et jouir pleinement du temps qui passe. La chute est finalement le moment le plus savoureux de la nouvelle.

« Dilemme abyssal » ouvre sur une vision de l’avenir proche assez intéressante, un monde terrestre devenu de plus en plus invivable du fait des conséquences du réchauffement climatique, tandis que des cités sous-marines constituent un espoir encore vague… Mais l’intrigue privilégiée débouche seulement sur la condamnation du cynisme et de l’égoïsme des puissants. Il en est d’ailleurs de même dans « Gestion des ressources humaines », au titre ironique, l’action étant transposé à l’échelle d’un empire galactique. « La loi de Pareto » s’en rapproche tout autant, le gouvernement, par son souci de gouvernance rationalisée, s’appuyant sur la fameuse loi des 80%/20% pour en déduire l’élimination de ceux d’où viennent la majorité des problèmes. Excessif, certes, mais appréciable dans sa dénonciation d’une gestion statistique tellement de notre temps… « Troisième œil » est la plus longue nouvelle de l’ouvrage, et également une des plus prenantes. Elle est centrée sur le sort d’un individu marginalisé, qui, par le biais de pouvoirs subits, devient indispensable à la police puis à la CIA. Le substrat humain est ici plus consistant, avec en outre un arrière-plan uchronique, celui d’Etats-Unis divisés par une seconde Guerre de Sécession.

Plus qu’Oppressions, ce recueil aurait mérité de s’appeler « Oppositions », car ce qui manque souvent aux histoires imaginées par Patrice Quélard, riches de plusieurs idées intéressantes, c’est un sens de la nuance, de la complexité.

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