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Ceux qui nous veulent du bien
samedi 19 mars 2011, par
Collectif
France, 2010
La Volte & La Ligue des Droits de l’Homme, 348 p.
ISBN : 978-2-917157-08-4
Avec cette anthologie, à la présentation originale, les éditions La Volte, associées pour l’occasion à la Ligue des droits de l’homme, renouent avec la veine la plus engagée de la SF française, celle qui fit florès dans la seconde moitié des années 70 (l’expression « ciel lourd béton froid », titre d’une des plus fameuses anthologies de l’époque, est d’ailleurs cité dans la préface de Dominique Guibert). La thématique tourne ici autour des nouvelles technologies, dans une optique critique telle que privilégiée, dans son versant le plus documentaire, par le collectif Pièces et main d’œuvre. Dix-sept auteurs sont ici rassemblés, la plupart connus et reconnus, quelques-uns nettement moins, avec un bilan majoritairement positif.
Thomas Day, dans « Echelons », fait partie des plus optimistes. Son histoire d’une grande prématurée, aveugle mais connectée à tous les appareils de haute technologie, se termine en effet par un appel à la prise de conscience et à la révolte citoyenne, pacifique et massive, contre les systèmes de surveillance : généreux et un brin naïf. Il en est de même pour Sébastien Cevey qui, dans « Des myriades d’orphides », imagine, par le biais des RFID, l’avènement d’une « démocratie de la pensée », une société de l’information totalement transparente et égalitaire, anarchiste dans son esprit, mais dont on peine à envisager le fonctionnement concret…
« Satisfecit » est assurément un des meilleurs textes. Stéphane Beauverger y décrit en effet avec beaucoup d’humanité et de finesse une société dans laquelle les pulsions et les névroses de tout un chacun sont traitées grâce à des thérapies virtuelles permettant d’assouvir ses fantasmes les plus ignobles. Le dénouement de la nouvelle est d’autant plus frappant, plein de sang et de stupre. « Spam », de Jacques Mucchielli, entre tout autant en résonance avec certaines tendances de fond de la SF politique des seventies. Son écriture, émaillée de spots publicitaires, se fait en effet plus déstructurée, et on apprécie sa critique d’une publicité véritablement totalitaire, arme de guerre au sens premier du terme, entraînant une réplique tout aussi violente. « Trajectoires », de Danel, imagine une société du tout sécuritaire, proche en certains de ses aspects du film Equilibrium. Avec son procureur incorruptible, vivant en symbiose avec un implant biologique lui permettant d’anticiper sur les crimes à venir, la délinquance est en chute libre, tout comme la justice… Tout simplement effrayant. Quant à la contribution d’Alain Damasio, c’est peut-être le récit le plus brillant. « Annah à travers la harpe » parle de l’obsession du risque zéro, du manque d’affection des parents vis-à-vis de leurs enfants, confiés au virtuel et à l’informatique, et du deuil contre nature ; mais il le fait d’une manière tellement touchante, avec une prose tellement belle et frappante, que l’on ressort de sa lecture forcément ébranlé, marqué.
Quant au « Regard », de Jérôme Olinon, il mêle éléments science-fictifs plutôt bien vus (une caméra nanoscopique implantée dans l’œil permettant l’affichage d’informations directement sur la cornée) et problématique actuelle de l’exclusion (l’idylle homosexuel d’un nanti et d’un sans papier), pour un bilan à la fois pessimiste et satisfaisant. On lui préfèrera cependant, dans cette dialectique de l’exclusion-inclusion, « Remplaçants », de Gulzar Joby, dont le monde est encore plus franchement séparé entre banlieues déshéritées et villes privilégiées ; ses adolescents avides de transgression suscitent un attachement au moins partiel, et la chute de la nouvelle est à plusieurs couches. Paul Beorn, de son côté, décrit dans son mode le plus cru la prison que peut constituer le virtuel, et au-delà peut-être l’aliénation subie au sein de l’entreprise (« Vieux salopard »). Enfin, Philippe Curval, dans « Un spam de trop », nous laisse entrevoir l’utopie rurale d’une existence détachée de tous les liens informatiques, de plus en plus nombreux, qui nous enserrent, pour mieux la briser ensuite.
Parmi les textes les plus faibles, on peut citer « 78 ans », de Camille Leboulanger, tant ce tableau d’une société succombant aux procédés rajeunissants et d’un des rares vieillards demeurant coûte que coûte attachée aux rythmes naturels demeure superficiel et trop peu approfondi. « Ghost in a supermarket », de Eric Holstein, est pour sa part un peu trop bavard pour un sujet lui aussi seulement effleuré, la possibilité d’échapper au marquage personnalisé sur le net ; on apprécie néanmoins le tableau du fonctionnement interne d’une entreprise. La brièveté de « Les événements sont potentiellement inscrits et non modifiables », signé Bernard Camus, souffre également de son caractère trop réaliste, manquant d’anticipation ou de fiction suffisantes. Il en est d’ailleurs de même pour la nouvelle d’Ayerdhal, « Paysage urbain », dénonciation des machinations de certaines majorités municipales, en lien avec des cabinets d’études loin de toute objectivité, qui fait écho aux travaux du couple Pinçon-Charlot (Les ghettos du gotha, en particulier). « Sauver ce qui peut l’être », de Prune Mateo, traite d’une thématique prometteuse, la mémoire et la nécessité de ses imperfections, mais d’une manière trop confuse dans la progression narrative pour véritablement convaincre. C’est le même défaut qui plombe « Naître et fleurir », de Léo Henry, la vie plutôt sordide d’un chirurgien. Quant au seul texte étranger [1], « Le point aveugle », de Jeff Noon -un des auteurs de La Volte-, sa brièveté et son sujet très restreint (un espace échappant à la surveillance tous azimuts) sont rachetés par une écriture très poétique.
[1] NDLR : Heu... je crois que Cevey est suisse.