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La planète des ouragans
samedi 2 avril 2011, par
Serge BRUSSOLO (1951-)
France, 1995-1997
Denoël, coll. "Folio SF", 2003, 718 p.
ISBN : 2-07-042808-7
La planète des ouragans est en réalité la compilation de trois romans de Brussolo initialement parus dans la collection Présence du futur, La petite fille et le doberman en 1995, et Rempart des naufrageurs ainsi que Naufrage sur une chaise électrique en 1997. Tous trois ont en effet un cadre commun, celui de la planète Santäl, qui présente la particularité d’être traversée de vents d’une force peu commune, capable de faire voler les créatures vivantes et de dépouiller le sol de ses aspérités. On se retrouve donc ici dans une veine se rapprochant d’une autre singulière planète, celle de Ce qui mordait le ciel, avec même quelques clins d’œil à certaines de ses œuvres (la bicyclette de « Funnyway », un personnage des Lutteurs immobiles, voire un avatar des musées qui inspirent tant Brussolo). Les récits sont ici judicieusement juxtaposés dans l’ordre chronologique de l’intrigue, et non celui de la sortie en librairie.
Rempart des naufrageurs, probablement le meilleur des trois, voit ainsi débarquer sur Santäl David, venu en repérage pour ouvrir éventuellement la planète à des sportifs amateurs de sensations fortes, Judi, une représentante de commerce désireuse de vendre ses produits obésifiants, et la jeune Saba, dont les tatouages à l’encre sympathique qui annoncent toute sa vie future ne peuvent être révélés qu’à la lumière éclatante du soleil de Santäl. Ce trio se lance ainsi dans une expédition ayant pour but l’endroit le plus lumineux et chaud de la planète, en traversant nombre de contrées peuplées d’humanités plus hallucinées les unes que les autres. La petite fille et le doberman s’inscrit dans le prolongement immédiat de Rempart des naufrageurs, puisque le roman est centré sur Nathalie et son chien Cédric, deux personnages rencontrés par le trio du Rempart. Tous deux découvrent les folies de la ville d’Almoha, plus abritée des tempêtes furieuses de Santäl, mais dominée par la peur et une théocratie, Eglise du Saint-Allégement dont la seule crainte est de voir la surface planétaire s’effondrer sous le poids d’une humanité grouillante. Quant à Naufrage sur une chaise électrique, il voit Nathalie et Cédric, en fuite d’Almoha, se lier avec un groupe de jeunes enfants recherchés par les prêtres sus cités. Pour échapper à leurs griffes, ils vont prendre le risque de se réfugier sur une immense plaque de métal, fruit de la fonte d’un météore, sur laquelle des chevaux ayant mutés sont susceptibles de diffuser un courant électrique mortel. L’occasion pour l’auteur de renouer avec sa vision sans complaisance de l’enfance, celle de Portrait du diable en chapeau melon.
La plume ensorcelante de Brussolo est une fois encore à l’œuvre, pour notre plus grand plaisir. Toujours hanté par la fascination des corps et de la chair, ce jusqu’à l’extrême (les monuments parisiens vus comme des squelettes d’anciennes créatures démesurées), il nous promène d’un groupe seulement obsédé par une prise de poids leur évitant toute envolée aérienne jusqu’à des humains qui ne voient d’issue que dans un enfouissement de plus en plus profond, en passant par les quelques illuminés qui acceptent de couler leurs extrémités dans le ciment, sentinelles dérisoires face à la force de la nature. Rare lueur plus positive, l’utilisation du souffle par les musiciens de l’Opéra d’Almoha afin d’endormir les douleurs, un pouvoir qu’ils payent toutefois d’une progressive dégénérescence. Au-delà de cette métaphore du bras de fer entre l’homme et la nature, c’est encore une fois à l’exploration de l’inconscient que nous convie Brussolo, entrelardée de sectes plus délirantes les unes que les autres, nous faisant réfléchir par ce biais à la dialectique immobilisme / mouvement, conservation / migration. Si ces romans sont bien gorgés de vie, c’est pour l’essentiel une vie de souffrance, terrible tableau de l’existence humaine que ne vient même pas soulager une once de spiritualité, la religiosité étant dévoilée par sa folie fanatique (les multiples sectes) ou son cynisme avide de pouvoir (l’Eglise du Saint-Allègement).