Accueil > TGBSF > P- > Projet : point final
Projet : point final
samedi 9 avril 2011, par
Claude J. LEGRAND (-2009)
France, 2011
Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 270 p.
ISBN : 978-1-935558-89-7
Suite à sa récente disparition, Claude J. Legrand a déjà bénéficié d’un premier volume en forme d’hommage paru chez Rivière blanche, Le dernier homme de chair. Projet : point final en est la suite directe. Outre une trentaine de courtes nouvelles, on y trouve un roman éponyme et inédit relativement condensé, dont la seule faiblesse réside dans la perte de trois pages du tapuscrit original.
Débutant par la description d’un avenir dystopique particulièrement sombre, évoquant fortement 1984, il se poursuit avec la description du projet conçu par la dictature occidentale afin de pérenniser l’existence du genre humain : préserver deux cents représentants de l’élite de l’humanité dans des satellites artificiels durant cinq millénaires. Le délai écoulé, on suit le destin de Mallory, autrefois paléontologue, qui va peu à peu plonger vers la barbarie, malgré la conservation du savoir sur microfilms. Moins brillant que Quinzinzinzili, Projet : point final est une confirmation de cette tendance au pessimisme sensible dans la science-fiction, mais aussi du caractère cyclique de l’évolution, ainsi que la chute du texte le prouve.
Cet art de la chute est aussi ce qui fait le sel de bon nombre des autres récits du recueil. Claude J. Legrand s’y révèle en effet comme un maître des faux semblants et des jeux de miroirs : « Le caméléon » joue ainsi entre la science-fiction et la triste réalité d’un amour impossible, tandis que « Le donjon » est une délicieuse mise en abyme des histoires de fantasy basiques. Autre ambiance fantastique, celle de « Le cheval et la jeune fille », un des textes les mieux écrits et les plus beaux. Parmi les thèmes qui semblent habiter Claude J. Legrand, on relève la peur du surpeuplement, l’humour et une certaine vision de la fraternité humaine qui irrigue la prose de l’auteur. « Mes sorcières chéries » est ainsi une plaisante histoire de sorcellerie autour de deux femmes rivales (« Mamie Melissa » en est le pendant antiraciste), « Dragon » un pied de nez au voyeurisme, « Le bon choix » un étonnant exemple de la difficulté de comprendre une autre culture, « Planète minée » une combinaison de la Terre comme bombe à retardement activée par l’effet d’une déception amoureuse, et « Poupées russe » une brève mais savoureuse réflexion sur la frontière entre réalité et fiction. Tout aussi grinçant, « Journal d’un chauffeur de maîtres » décline le thème du vampire et « Le premier pas sur la Lune » l’idée de l’éternel retour, ces deux textes se distinguant davantage par leur finesse que par leur originalité.
Deux nouvelles ont pour cadre les colonies, et si la première (« Une histoire à dormir debout »), bien qu’emplie d’émotions, laisse sur sa faim, la seconde (« Werewolf »), variante sur le sujet du loup-garou, est plus convaincante, le lycanthrope pouvant même servir de métaphore à la domination coloniale européenne. De même, « Suki », « Le 37ème niveau » et « La planète innocence » partagent le même désir, celui d’un havre de paix, loin de notre civilisation industrielle. On notera que quelques textes évoquent d’autres nouvelles d’auteurs connus, ainsi de « La planète des R » et de son humanité rapetissée qui se rapproche du « Seconde chance » de Jean-Pierre Andrevon dans Retour à la Terre 2), de « Safari au Mésozoïque » parallèle au célèbre « Coup de tonnerre » de Ray Bradbury (même désir de chasse et même avenir bouleversé), tandis que le tragique naufrage extra-terrestre de « La pêche aux étoiles » ressemble furieusement au « Vaisseau cosmique » proposé dans Le dernier homme de chair ! De même, « Maison de poupées » et « Le dernier humain de la Terre », cruelle à souhait, entretiennent des liens de parenté certains avec la série télévisée La quatrième dimension, tout comme « Progression arithmétique », un des meilleurs textes du recueil du fait de son hypothèse fascinante sur les conséquences du voyage temporel. A cet égard, si les dates de publication des textes connues sont indiquées, il est dommage que celles de rédaction ne soient pas signalées, sans doute en raison de leur absence pure et simple.
Quelques déceptions sont certes à enregistrer : « Le naufragé », relecture un peu vaine du mythe du bon samaritain, « Gambit » et son avenir bien peu attirant, « Muki et le phoque blanc », une bonne idée seulement effleurée, « La maison de Granny », « Moi, Jaimes, votre serviteur » ou « Le match du siècle », un peu trop prévisibles, ainsi qu’un récit plus abscons (l’opaque « Peur nocturne »). Cependant, sans innover foncièrement, Claude J. Legrand décline une fois de plus des trajectoires humaines souvent touchantes, toujours prenantes.