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Rêves de gloire
samedi 26 novembre 2011, par
Roland C. WAGNER (1960-2012)
France, 2011
L’Atalante, coll. "La dentelle du cygne", 704 p.
ISBN : 978-2-84172-540-3
C’est une uchronie en forme de retour autobiographique et de couronnement d’une carrière, véritable livre-somme, que nous offre Roland C. Wagner avec ces Rêves de gloire. Dans cette histoire alternative, le général de Gaulle, élu président d’une jeune Vème République, est assassiné en 1960 pour avoir voulu passer ailleurs que par le Petit Clamart (quelques années plus tard, le président Kennedy échappe pour sa part à son destin funeste). Conséquemment, la guerre d’Algérie se prolonge jusqu’en 1965, et les accords de Bains-les-Bains qui y mettent fin laissent à la France des enclaves comprenant Bougie, Oran et surtout Alger. Si les deux premières sont finalement restituées, quelques années plus tard, à l’Etat algérien, la France étant alors devenue, en 1973, une dictature militaire (en réaction d’une gauche communiste parvenue au pouvoir), celle d’Alger devient finalement indépendante à la fin des années 70, avec la mise en place d’une Commune révolutionnaire. L’Algérie, de son côté, a finalement adopté un modèle fédéral, et connaît un développement apparemment plus équilibré que dans notre réalité. Parallèlement, après la mort de Staline, la Hongrie est parvenue à quitter le bloc de l’est (quid au passage de la possibilité d’un autre socialisme revendiqué ?), et l’échec de l’explosion d’une bombe atomique souhaitée par Beria conduit à l’éviction de ce dernier par Khrouchtchev, qui mise alors à fond sur la conquête spatiale, l’URSS parvenant à atteindre la Lune puis Mars (les faiblesses internes du système économique bureaucratisé sont ici négligées).
Rêves de gloire est à la fois une uchronie particulièrement travaillée et convaincante, ainsi qu’un exercice de style finement maîtrisé. La construction narrative est en effet totalement éclatée, à la Dos Passos et John Brunner, faite d’allers et retours dans le temps. De plus, on y trouve des variantes subtiles de vocabulaire et de langue : les Etats au lieu des Etats-Unis, les vautriens en lieu et place de nos hippies français, et même le mulot plutôt que la souris (une de ces légères touches d’humour qui émaillent le livre). Roland C. Wagner y déploie en particulier toute son érudition musicale, en une réécriture mêlant artistes réels et formations imaginaires, très appréciable pour les amateurs éclairés (Claude Moine et David Aellen faisant partie ensemble du supergroupe Mandragore, les Beatles n’ayant pas dépassé le stade de trois singles, Dieudonné Laviolette comme mélange d’Hendrix et de Clapton, ou Martin Birch officiant comme ingénieur du son à Alger). Le personnage principal est d’ailleurs, tout au long du roman, à la recherche d’un introuvable 45 tours des Glorieux Fellaghas, sorti à la fin des sixties, véritable matérialisation des rêves d’une époque. Il faut dire que dans cette trame temporelle, le voyage de Tim Leary en Europe a conduit à un véritable summer of love à Biarritz en 1965, avant que les vautriens ne se retrouvent dans une Alger aux mille couleurs. Et bien sûr, comme dans toute uchronie, on croise des figures connues sous des angles inédits, que ce soit un Albert Camus en noble vieillard, instrument d’une véritable mise en abyme (par un clin d’œil au Dick du Maître du Haut Château), ou un Johnny Hallyday mort dès 1964…
Nostalgie du psychédélisme -la Gloire est en réalité le surnom donné au LSD- qui ne tait pas ses dérives (les drogues plus destructrices apparues au fil des sixties), Rêves de gloire est également un appel sous-jacent à la fraternité, entre Français et Algériens reliés par la figure évanescente du prophète, loin de tout manichéisme, ainsi qu’un manifeste politique en partie désabusé. Si la face noire des Etats algérien ou français est esquissée (les disparitions inexpliquées de vautriens), les théories néo-libérales sont déconsidérées assez rapidement, avec l’expulsion d’Alger de Milton Friedman. L’utopie anarchiste de l’Algérois, à la fois anarcho-syndicaliste et capitaliste, où la propriété intellectuelle est libre, n’est pas pour autant l’incarnation naïve de lendemains qui chantent, simplement une parenthèse plutôt agréable, comme un temps arrêté, une histoire sans vainqueurs ni vaincus clairs…