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Dimension Jean-Pierre Hubert

samedi 30 juillet 2011, par Maestro

Jean-Pierre HUBERT (1941-2006) & Richard COMBALLOT (1965-)

France, 2011

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 436 p.

ISBN : 978-1-61227-022-7

Comme il l’avait déjà magnifiquement fait pour Alain Dorémieux, Richard Comballot, cet érudit de la SF française, rend un hommage mérité à un auteur important du genre, mais qui semble cruellement marginalisé dans la mémoire collective. A l’instar du Dimension Alain Dorémieux, ce Dimension Jean-Pierre Hubert est accueilli avec la générosité qui la caractérise par une Rivière blanche se métamorphosant de plus en plus en un fleuve fougueux. Il s’agit cependant d’un choix par défaut, aucune maison d’édition de plus grande envergure n’ayant eu le courage (mais s’agit-il bien de courage, plutôt que de décence ?) de remettre en lumière un écrivain majeur.

Illustré de bien belle manière par Grillon, et d’une épaisseur imposante, Dimension Jean-Pierre Hubert est préfacé, outre l’anthologiste, par Daniel Walther, qui évoque avec beaucoup d’émotion, de retenue et d’éclat l’ami suicidé sans avoir pu accoucher de l’œuvre majeure rêvée. Seize nouvelles ont été retenues par Richard Comballot, extraites de Roulette mousse (un recueil paru chez Présence du Futur datant de 1987) ainsi que de diverses revues et anthologies. Les cinq premières appartiennent à la période des années 68-81, marquées par un investissement politique plus marqué et des anticipations majoritairement sombres. C’est ainsi que l’on retrouve, sous la plume de Jean-Pierre Hubert, explosion du chômage et du syndrome sécuritaire (« Tout au long de l’île au long de l’eau », « Le Destructeur regardait son maître avec des yeux humides »), progrès du virtuel et déshumanisation croissante d’une société en pleine autodestruction (« Relais en forêt », un peu plus marquant grâce à sa chute), mais également retour à la terre dans le cadre d’un socialisme autogestionnaire (« Retour au pays natal »). De ce premier ensemble, le texte le plus marquant est sans doute « V.V. » (initialement paru dans Les soleils noirs d’Arcadie), en raison de son cadre -une planète clef du transport intergalactique marginalisée suite aux progrès de la propulsion, véhicule d’un certain romantisme-, de son personnage central plutôt convaincant et de sa problématique sous-jacente -la révolte comme composante du système de domination inégale-.

L’acmé de la prose « hubertienne » est bien plus repérable au cours des années 80. Des textes comme « Gélatine », « Navigation en tour close », « Les quais d’Orgame », « Le trou de 8 », « Jip et Riluk » et « Pleine peau » déploient un onirisme particulièrement attachant, fort en images marquantes : le mur et la femme iconique de « Pleine peau », les morts en gelée de « Gélatine », l’univers fascinant d’Orgame, proche de celui des Cités obscures, les souvenirs à taille humaine dans lesquels on finit par se perdre du « Trou de 8 » ou l’artéfact architectural nomade de « Navigation en tour close ». On peut voir tous ces textes, parallèles à ceux d’un Brussolo mais avec davantage d’abstraction, comme autant de reflets de l’incertitude sur la nature du réel et des doutes qui succèdent aux certitudes de la période précédente. « Disciple », moins frappant, privilégie la même problématique, son penseur gourou central, en état de mort suspendue, attirant un de ses sectateurs pour s’interroger sur les carrefours de possibles de sa vie passée, tout comme « Où le voyageur imprudent tente d’effacer… », hommage lointain à Barjavel, habité surtout par le regret suscité par certains choix de vie et l’impossibilité de les effacer. On peut également en rapprocher « L’aube des autres », traversé par l’incommunicabilité entre une espèce extra-terrestre en visite sur Terre et l’humanité, cette dernière étant d’ailleurs contrainte de revoir sa centralité supposée…

Un peu à part, « Décaleur de réalité » est un pastiche de la fantasy à la sauce Harry Potter, qui se permet tout de même une réflexion sur la nature du réel en forme de jeu de miroirs. A travers bon nombre de ces nouvelles, on devine l’attrait de Jean-Pierre Hubert pour sa région de résidence, l’Alsace rhénane, et la dimension autobiographique est même patente dans « Connais-tu cette petite mort ? » (tragique de la solitude), « Tout au long de l’île au long de l’eau » (l’auteur y est cité comme un personnage à part entière) et surtout « Gélatine », la disparition de la totalité de l’humanité apparaissant, avec le recul, comme l’image en creux de sa propre finitude. Un long entretien sur la vie et l’œuvre de Jean-Pierre Hubert mené par Richard Comballot (paru initialement dans Bifrost en 2004) et une bibliographie exhaustive réalisée par Alain Sprauel complètent ce volume de référence pour l’histoire de la SF française, et on se plaît à rêver à de futures parutions sur ce modèle, consacrées à Daniel Walther, Christian Vila, Dominique Douay, Christine Renard et bien d’autres…

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