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Les spectres d’Eiffel

dimanche 15 novembre 2020, par Maestro

François FIEROBE (1965-)

France, 2017

La Clef d’argent, collection « LoKhaLe », 212 p.

Vous ne le savez sans doute pas encore, mais François Fierobe est un génie. Auteur pour l’heure de plusieurs nouvelles, il n’a signé qu’un unique roman, Les spectres d’Eiffel, et quel roman ! Tout débute par l’évocation d’un souvenir d’enfance du narrateur, le récit de son grand-père concernant la substitution de la Tour Eiffel par un escroc sans pareil, qui aurait reconstitué la Tour authentique en un lieu inconnu.

Le décor est planté, et la vie du narrateur déterminée. Devenu expert en arts, anticipant comme personne les tendances et les artistes en vogue, il a pu accumuler une gigantesque fortune, et une tout aussi gigantesque quantité d’œuvres en tous genres, qu’il a finalement entreposés dans d’anciennes champignonnières. Mais lorsqu’il est témoin, au troisième étage de la Tour Eiffel où il a l’habitude d’inviter certains de ses plus gros partenaires de contrats, de l’apparition d’êtres spectraux baptisés les Eiffelines, il n’a de cesse que d’y trouver explication. L’univers dans lequel François Fierobe nous fait alors pénétrer est d’une richesse confondante, à l’image de son érudition apparemment sans fin. Au-delà des cercles et sociétés soi-disant fondées autour de la Tour Eiffel, pour se pencher sur tel ou tel thème, il y a ces excentriques majeurs que sont Cressiot-Blossière, guide à la Tour et féru d’anecdotes à son sujet, et d’Outremont, collectionneur de tous les appareils spirites possibles et imaginables.

Car le roman ouvre une succession de portes, qui sont autant de révélations dignes de l’histoire secrète, de coulisses de la « grande » histoire ou de faits divers ; avec un seul groupe de mots, François Fierobe est capable de titiller l’imaginaire, de laisser entrevoir ce qui pourrait constituer le sujet d’une nouvelle à part entière. On est ainsi balloté de la république indépendante de Counani, en Guyane, aux exécutions à la guillotine du début du siècle, en passant par les expériences spirites en tous genres, les morts liés à la Tour ou les diverses inventions précédant ou accompagnant le cinéma (qui connaît le cinéorama ?)... et ce n’est là qu’un échantillon ! Toujours, il s’ingénie à effacer les frontières stables entre réalité et fiction, en superposant les deux, élargissant d’autant le monde et provoquant un étourdissement vertigineux chez son lecteur.

L’image de l’origami est certainement ce qui correspond le mieux à ce style si particulier ; parmi les écrivains français, seul Raphaël Eymery me semble pouvoir s’en rapprocher quelque peu, mais dans une variante plus tournée vers le « grand guignol » (sans connotation péjorative de ma part, mais dans son sens historique). Le dénouement de cette enquête hors-norme est une ode au merveilleux scientifique (le clin d’œil à Maurice Renard est palpable dans le personnage d’Outremont – rappelons que Renard signa une nouvelle intitulée « Monsieur d’Outremort »), à tout ce qui transcende le réel, en souligne la beauté sous tous les angles, surtout les plus négligés (beau passage sur le caméléopard, à la chute savoureuse et révélatrice).

Le roman lui-même est complété par un passionnant article d’un de ces érudits de l’ombre, Jean Mazepin, sur les mythes liés à la Tour, une brève bibliographie et une explicitation des choix iconographiques opérés pour la couverture. Lisez Les spectres d’Eiffel, car c’est un fait, et non une illusion : François Fierobe est un génie.

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