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Orcheron
samedi 13 janvier 2001, par
Pierre BORDAGE (1955-)
France, 2000
L’Atalante
Il aura fallu attendre deux longues années avant de voir paraître la suite du cycle inauguré par Pierre Bordage avec Abzalon. Après le récit des origines sur Ester et de l’odyssée de ses survivants, voici le portrait de la planète sur laquelle ces survivants avaient abordé. Le récit se situe toutefois huit siècles environ après le débarquement, et malgré une durée de vie qui tourne autour de quelques centaines d’années, vous ne retrouverez pas les héros Ellula, Abzalon ou leurs enfants (quoique...), mais uniquement leurs descendants, directs ou non - la question des lignées généalogiques étant cruciale dans le cadre de l’intrigue développée. Inutile de dire que la civilisation a dans ce cadre connu une certaine régression technologique.
On retrouve ici une construction narrative proche de celle d’Abzalon : chaque chapitre est introduit par les textes de protagonistes (acteurs ou non du roman), qui complètent ce que l’on peut apprendre en suivant les aventures des divers personnages, dont les destinées vont progressivement se rejoindre au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire. Un procédé garant d’efficacité, et qui, combiné à l’imagination de Bordage, parvient une fois de plus à captiver le lecteur, peut-être de façon légèrement moins efficace que dans Abzalon au début, lorsque l’on appréhende ce à quoi ressemble le monde issu de l’Esterion sur le continent du Triangle ; mais à partir du moment où la violence entre en scène, et où on commence à découvrir le second continent qui semblait jusque là inconnu, le suspens et l’intérêt vont croissant et nous tiennent en haleine, les révélations se faisant peu à peu jour comme on découvrirait la partie cachée d’un iceberg.
L’imagination, on la voit à l’œuvre dans la description de la nouvelle société mise en place par les descendants de l’Esterion, et dont la comparaison avec la société provisoire née au sein même du vaisseau se révèle fort intéressante. Ainsi, en réaction au schéma outrancièrement patriarcal de la société kropte, c’est un schéma plutôt matriarcal qui domine, la structure territoriale de base étant le mathelle, dirigé par une femme qui dispose de plusieurs amants et maris, les constants. Les protecteurs des sentiers, surnommés les " couilles-à-masques ", incarnent quant à eux la réaction, le désir de retour à un ordre ancien et masculin, même si les motivations profondes de leurs dirigeants, le Cercle ultime, demeurent mystérieuses. Reste les exclus, toujours les mêmes, à savoir les ventresecs, dont le mode de vie nomade et libertaire s’oppose à celui des mathelles, inverse du système social des kroptes mais en partie conservateur et coupable de crimes secrets...
Dans cette optique, l’idée selon laquelle le fanatisme peut naître de ressentiments et de frustrations personnelles, égoïstes, est particulièrement bien amenée. On peut néanmoins relever une certaine naïveté dans la philosophie mise en œuvre, à travers ce roman, par Pierre Bordage. A côté de préoccupations écologistes récurrentes, à travers la préservation de l’environnement naturel et de l’écosystème prônée par les ventresecs, les Qvals et les espèces natives de la planète (comme les Furves), on approfondit justement l’idée que représentent lesdits Qvals : cette notion selon laquelle la foi, la croyance (et donc, implicitement, l’esprit) permet de se transcender, ainsi que l’illustre la plongée dans l’eau bouillante du Qval Djema, plutôt qu’une réflexion qui tourne en rond. Ajoutons à cela l’amour universel que semblent prôner les dits Qvals, et on a l’impression de se retrouver ainsi avec un succédané de religion...
Certains aspects, tel le problème récurrent du temps et de ses allers-retours, restent en tout cas partiellement mystérieux. Souhaitons qu’un troisième volume amène de nouvelles (et ultimes ?) révélations sur ce monde finalement assez vaste mis en scène par le magicien des mots Bordage.