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Au réveil il était midi

samedi 28 juillet 2012, par Maestro

Claude ECKEN (1954-)

France, 2012

L’Atalante, 320 p.

ISBN : 978-2-84172-584-7

Ce nouveau recueil de textes de Claude Ecken, après Le Monde, tous droits réservés en 2005, ne manque pas de surprendre. En dehors de la première nouvelle, « Asphyxie », qui imagine le sermon d’un père à son fils, dans une société française devenue encore plus policière, xénophobe et intolérante, avec en guise de clin d’œil une critique de la SF comme délibérément déconnectée du réel, les autres récits n’ont en apparence qu’un lien ténu avec notre genre de prédilection. Tout au plus peut-on diagnostiquer une légère anticipation dans certains durcissements législatifs ou réformes scolaires (ainsi de l’histoire-géographie-éducation civique, matière devenue une simple option, et des policiers affectés à chaque établissement). En fait, Au réveil il était midi est avant tout un ensemble d’histoires réalistes, pleines de sympathie pour des personnages communs, et que l’on peut rattacher à un engagement de gauche ; une anticipation sociale, pour laquelle Claude Ecken a simplement légèrement avancé le curseur du temps, au point de rendre son tableau de notre très proche à venir (2019 est une des rares dates citées) tellement crédible qu’il en est d’autant plus dérangeant.

« Soutien psychologique » brocarde ainsi la tendance à mettre en place des cellules psychologiques pour le moindre traumatisme supposé, en oubliant volontairement certains drames du quotidien, comme l’expulsion d’un squat de familles d’origine étrangère. De même, « La foire aux palabres » est une très belle évocation d’un Sénégalais venu en France car il croyait aux valeurs humanistes défendues par la Révolution, qui se heurte aux discours opportunistes d’une politicienne en mal de victoire électorale (tiens, tiens !) mais également à l’ouverture d’esprit d’un étudiant qui montre que l’on doit toujours continuer à espérer du genre humain. On peut en rapprocher « La petite fille entre deux mondes », où les immigrés sont encore plus pourchassés, y compris par des milices de citoyens volontaires, élément d’un véritable pré-fascisme ; l’occasion de proposer un portrait de policier doutant de sa mission.

Le doute des fonctionnaires est d’ailleurs au cœur de « Schizonoïa », diagnostic approfondi des ravages causés par le néo-libéralisme et sa logique de rentabilité sur des professions touchant au social. « Je vous apprendrai la haine » a ceci d’original qu’au-delà de la dénonciation poignante et même urticante de la violence policière gratuite et des humiliations de la garde à vue, on y trouve enchâssée les textes de deux chansons imaginaires de rap. « Sparadrap et bouts de ficelles » séduit, en plus de ses multiples exemples de dégradation sociale liée à la réduction généralisée des budgets, par sa construction formelle, puisque l’on suit la journée d’une femme SDF et de son fils face aux avanies d’administrations sourdes à la misère, de médecins refusant la CMU ou d’enfants souvent cruels pour les plus pauvres qu’eux avec à chaque fois des éclairages de l’intérieur, permettant davantage de nuance dans le propos.

« La morale de l’histoire » est insidieusement plus cruel, brossant le portrait d’une jeune enseignante, ayant dû jouer la stripteaseuse afin de financer ses études, et dont le passé revient la frapper en pleine face en la personne d’un client devenu parent d’élève. L’auteur semble d’ailleurs y plaider contre l’évaluation à tout crin des élèves (et plus généralement des individus), ainsi que pour une éducation qui ne sacrifie pas l’ambition et le contenu (ici, l’indispensable chronologie historique, nécessaire à toute approche thématique). Au passage, on sent bien chez Claude Ecken une connaissance intime du milieu professionnel qu’il évoque (avec ces parents toujours prêts à contester les décisions des professeurs), et ce dans toutes les nouvelles.

Dans « La ville de cristal », sont analysés la vidéo-surveillance et son totalitarisme rampant, ainsi que l’urbanisme uniforme, mis en cause, entre autres, par le collectif Pièces et main d’œuvre ou par Jean-Luc Debry (Le cauchemar pavillonnaire) ; au passage, le portrait du président, vulgaire et inculte, ressemble fort à celui du désormais ancien locataire de l’Elysée… « Pierre Martino, un cas », encore plus clinique que les autres, se révèle particulièrement troublant, dans son portrait d’un individu abimé par la vie, que tout accuse, à commencer par cette volonté d’évaluation précoce et généralisée du risque. Enfin, l’ultime nouvelle, « 2021 », se rapproche davantage de l’univers de Dick, à travers son oscillation entre deux réalités tout aussi hésitantes, un texte qui tranche quelque peu avec le reste du recueil ; une forme de conclusion, qui synthétise cet éclatement de notre société en microcosmes localisés spatialement facilitant d’autant le contrôle.

Un portrait à la fois réaliste et cru de notre société actuelle, dont la seule limite tient sans doute aux perspectives envisagées pour un changement, la bonne volonté de certains ou la non-violence devant accompagner la critique sociale (dans « Je vous apprendrai la haine »). A certains égards, on retrouve là la réussite d’un roman en forme de recueil de nouvelles comme Les monades urbaines, de Robert Silverberg.

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