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La nuit du Nyctalope
samedi 25 août 2012, par
Jean de LA HIRE (1878-1956) et alii
France, 2012
Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 300 p.
ISBN : 978-1-61227-108-8
Si le tome 8 des Compagnons de l’ombre était partiellement dédié au Nyctalope, cette anthologie lui est totalement consacrée, et s’inscrit dans la lignée de parutions comme Nyctalope ! d’Emmanuel Gorlier, le spécialiste français du super-héros (il signe d’ailleurs ici pas moins de quatre nouvelles), et la réédition du Nyctalope contre Lucifer.
La nuit du Nyctalope débute d’ailleurs par une reprise d’une nouvelle du créateur du Nyctalope, « Rien qu’une nuit », publiée en 1944. Cette histoire anecdotique, récit d’une possession spirite exercée par un maître très vite battu sur une jeune femme ravissante, qui est très loin d’égaler les actions du redoutable Lucifer, nous montre en tout cas que Jean de La Hire s’intéresse toujours en priorité aux milieux bourgeois et répercute les idées de la Révolution nationale (la conclusion de l’histoire voit en effet le Nyctalope s’effrayer de la possible union d’un mage cosmopolite et apatride avec une blanche de race bien française !).
Les douze autres récits sont tous inédits et actuels, et reviennent sur des épisodes importants de la vie aventureuse de Léo Saint-Clair. Ses pérégrinations africaines quelques années avant la Première Guerre mondiale sont ainsi évoquées par Matthew Dennion (« Territoire interdit », juste sympathique sur la rencontre un peu brève de Tarzan et du Nyctalope) et Robert Darvel. « L’homme au cœur double » de ce dernier est une des grandes réussites du recueil, grâce à un style plein de panache, singeant à merveille celui des feuilletons à sensation, et une aventure pleine de rebondissements et d’inventions fantasques ; l’auteur illustre également bien la mentalité colonialiste de Saint-Clair. A l’inverse, Emmanuel Gorlier dans « Dilemme algérien » a la bonne idée d’illustrer l’évolution de la position de Saint-Clair sur le sujet à la lumière de la guerre d’Algérie, via une jolie métaphore du profond désir d’indépendance des populations originelles de la colonie (la lampe d’Aladin). On appréciera également « La justice et la force », signé Chris Nigro, qui revient, en pleine Première Guerre mondiale, sur le traumatisme subi par le Nyctalope sur Mars, en proposant sa résolution via Judex, ainsi que « Les Ides de Mars », de Jean-Marc Lofficier, conclusion du recueil à la chute frappante sur le même sujet.
Plusieurs textes s’intéressent par ailleurs à une problématique aussi délicate qu’intrigante, celle des relations entre Léo Saint-Clair et l’extrême droite, avec comme prélude « Du sang et des armes » de Julien Heylbroeck, une enquête en Vendée qui ressuscite les mânes de Gilles de Ray et met en scène des Français prêts à tout pour s’opposer à Hitler ; de quoi commencer à comprendre les réticences du héros national vis-à-vis de la résistance à tout prix... Si Philippe Ward confronte le Nyctalope à Otto Rahn (un personnage historique déjà récemment ressuscité par Jean-Pierre Pecau dans sa série BD du Grand jeu) autour de ce mythe des Cathares qui lui tient tant à cœur, à travers une démarche relativement ouverte, Emmanuel Gorlier dans « Un cadeau pour Hitler » met en scène une véritable expédition conjointe entre le Nyctalope, Maciste et le futur docteur Folamour à la recherche d’une ancienne oriflamme ; on sent toutefois que ce potentiel dramatique n’est que survolé. « La voie divergente » de Matthew Dennion aborde le sujet de la collaboration plus directement. Néanmoins, les explications qu’il donne au choix de Saint-Clair de se ranger du côté de Vichy sont inégales : si le souvenir d’un Pétain chef de guerre et patriote est pertinent, l’idée selon laquelle le Nyctalope agirait simplement par crainte de la déportation de ses proches ne résiste pas à la possibilité d’organiser une fuite de ces derniers, surtout au vu des pouvoirs de Saint-Clair. Et que penser de sa découverte de la duplicité de Vichy en 1942, dans la nouvelle en question, qui ne l’empêche pas de rester de ce côté jusqu’à la fin de la guerre ? Mieux vaudrait sans doute creuser la veine de l’anticommunisme du Nyctalope pour élucider son engagement discutable.
Moins convaincants, enfin, « Le Nyctalope à New York » de Stuart Shiffman et « Una voce poco fa » d’Emmanuel Gorlier sont surtout plus laborieux dans leur intrigue respective, le premier en particulier, la rencontre proposée avec Nero Wolfe apparaissant comme trop artificielle. Quant à « Madison Square Garden », d’Emmanuel Gorlier, qui met en scène Marcel Cerdan et le Parrain, elle ne réserve qu’un rôle secondaire au Nyctalope. Saluons en tout cas un ensemble globalement de bonne tenue, qui actualise avec brio un héros centenaire.
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