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Le roc d’or
samedi 20 octobre 2012, par
Théo VARLET (1878-1938)
France, 1927
Le Serpent à plumes, 1998, 274 p.
Situé chronologiquement entre La Belle Valence, incontournable histoire de voyage temporel, et La Grande Panne, autre classique de la science-fiction française de l’entre-deux guerres, Le Roc d’or peut en apparence apparaître plus anecdotique. L’ancrage science-fictif est d’ailleurs plus faible, centré sur la chute d’un énorme aérolithe au nord de l’océan Atlantique (et accessoirement sur les nouvelles armes élaborées lors de la marche à la guerre qui s’ensuit). Au-delà des conséquences destructrices sur les rives américaines et européennes, le roman suit les pérégrinations d’Antoine Marquin, médecin affecté à bord de l’Erebus II, un navire d’abord chargé d’une expédition au pôle sud, mais qui finit par être le premier à se lancer à la découverte de l’île nouvelle après sa réquisition par le gouvernement français.
Premier atout de ce roman, sa fluidité, permise par la maîtrise par Théo Varlet du rythme et du sens de l’intrigue, en plus de sa capacité à brosser des descriptions percutantes. Bien sûr, certains aspects sont assurément datés : l’histoire d’amour entre Antoine et la surdouée Frédérique-Elsa, lente à se concrétiser ; l’arrière-plan volontiers nationaliste, voire chauvin (p.116), le méchant de service étant un espion au service de l’Allemagne, réactivation du péril « boche » ; l’idéologie raciste occidentale, qui fait des jaunes une « race rivale », « irréductibles ennemis sous leur maquillage progressiste » (pp.240-241). Toutefois, on doit reconnaître à Théo Varlet une certaine prescience face à des inventions encore balbutiantes à l’époque. Il écrit en effet, au sujet de la télévision, que d’ici dix ans, elle sera capable de retransmettre des spectacles tournés à l’autre bout du monde, et surtout, il anticipe sur les effets de la mondialisation de l’information audiovisuelle, estimant que « (…) désormais toute la terre vibre à l’unisson grâce à la T.S.F…. Il y a quinze ans, cette catastrophe nous eût émus beaucoup moins, puisque nous l’aurions apprise par les journaux, trois ou quatre jours plus tard. Le rythme de la vie s’est accéléré sur notre planète et l’humanité forme de plus en plus un bloc, un seul organisme palpitant à la fois des mêmes réactions. » (pp.14-15)
Mais le plus intéressant est dans le déroulement de l’intrigue, à compter de la découverte de la véritable nature de l’île N, baptisée par ses découvreurs île Féréor. L’immense quantité du métal précieux qu’elle recèle suscite en effet une véritable fièvre, qui, en plus des déséquilibres que sa possession par la France induit sur l’économie, dans un contexte d’affaiblissement du franc, révèle chez Théo Varlet, outre l’ampleur du traumatisme lié à l’inflation, ce mal nouveau, sa hantise de la révolution sociale (p.147) et son sens de la hiérarchie sociale. Au sein de l’équipage de l’Erebus II, en effet, ce sont les marins qui se laissent entraîner par leurs instincts et leur soif de possession, de richesse, a contrario des officiers et autres gradés, capables de conserver leur sang-froid. « (…) l’espoir de ces délices, chez des cerveaux frustes et bornés à un court horizon de temps, amollissait le courage qu’ils eussent déployé, autrement, pour s’emparer du navire. Ils manquaient de meneur, du reste. Le coq indochinois s’essayait à jouer ce rôle, mais sa couleur de peau lui nuisait dans l’esprit de ses complices et les empêchait de le prendre au sérieux. » (p.102) Limitation intellectuelle, incapacité à s’auto-organiser ou à agir sans chef, le tableau est clairement à charge.