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La machine à remonter les rêves

Les enfants de Jules Verne

samedi 27 octobre 2012, par Maestro

Richard COMBALLOT (1965-) et Johan HELIOT (1970-)

France, 2005

Mnémos, coll. "Icares", 352 p.

La machine à remonter les rêves fait partie de ces anthologies construites autour d’un personnage ou d’un auteur de fiction que l’infatigable Richard Comballot cornaqua dans la première moitié des années 2000, avec Les ombres de Peter Pan ou Mission Alice. Paru à l’occasion du centenaire de la mort du grand écrivain, et se présentant comme l’antithèse du provocateur Pourquoi j’ai tué Jules Verne de Bernard Blanc, ce recueil comprend pas moins de dix-huit nouvelles, souvent d’un grand intérêt.

La plupart d’entre elles proposent des relectures de certaines des œuvres de Jules Verne, n’hésitant pas à faire du romancier le narrateur principal, et reliant l’univers vernien à d’autres créations littéraires. « La mystérieuse Antarctide » de Christian Vila, loin des extrêmes stylistiques que l’auteur savait tant manier, croise ainsi Le sphinx des glaces avec les contrées du rêve de Lovecraft, théorie du complot en prime. Michel Pagel, avec « Le véritable secret de Wilhelm Storitz » (repris dans son recueil La vie à ses rêves), propose une explication plus science-fictionnesque de l’intrigue d’un des ultimes romans de Verne, en y insufflant de l’audace toute wellsienne : sympathique sans être transcendant. Daniel Walther s’est également penché sur le même roman, avec sa manière bien à lui, aux visions pourtant retenues, tournant autour des interrogations de Verne sur les potentialités mortifères de la science. Plus laborieux et comme restant à la surface du sujet, « La guerre des mondes a bien eu lieu » fait de Verne le véritable géniteur des plus célèbres romans de H.G. Wells, sans que l’on ne voit très bien ce que Pierre Stoltze cherche à démontrer. Parmi les textes plus audacieux, il convient de citer « Cuit dur » de Xavier Mauméjean. Ce dernier livre en effet un texte réjouissant, une uchronie dans laquelle la publication par Hetzel de Paris au XXe siècle aboutit à un échec commercial retentissant, poussant Jules Verne à émigrer aux Etats-Unis. A l’issue d’une enquête aux multiples rebondissements qu’il mène en tant que détective privé, et en parallèle de laquelle il découvre les propositions de l’éditeur H.P. Lovecraft pour réécrire les manuscrits qu’il lui propose, le vieil homme décidera finalement de se lancer dans le roman noir… Plus marginal bien que non dénué d’une certaine sensibilité, « Non-absinthe » de Ugo Bellagamba rend hommage au plus secondaire Rayon vert via l’épreuve d’un deuil marital situé dans une Europe délicatement uchronique. Enfin, « 20 000 lieues dans l’espace » signé Jean-Pierre Vernay manque d’originalité et de force, aussi bien dans son intrigue, trop calquée sur celle de 20 000 lieues sous les mers, que dans sa description de l’univers apparemment steampunk au sein duquel elle prend place.

Mais époque oblige, bon nombre de nouvelles relèvent d’une démarche métatextuelle. Agréable, « Magicis in mobile » de Pierre Pevel, un texte situé dans un de ses univers de fantasy, est une évocation plutôt sage du pouvoir de la fiction, Méliès parvenant à faire basculer dans la « réalité » le Nautilus et une partie de son équipage. Un cran au-dessus, le vétéran Philippe Curval nous livre une belle leçon de littérature avec « Décalage temporal », où quand les personnages de La chasse au météore et des Indes noires échappent à la surveillance de leur géniteur. Dans un registre proche mais inversé, la nouvelle de Michel Lamart, « Blanc partout », centrée sur Michel Ardan, ne fait que survoler son sujet. « On a volé le pôle magnétique ! » d’Hervé Jubert se révèle plus original, à la fois par sa problématique -ramener Jules Verne dans le droit chemin de la création littéraire- et par la forme choisie, avec ce synopsis d’un véritable roman seulement esquissé. Autre réussite, la mise en abyme de Richard Canal dans « Le dieu mécanique », bâtie autour des liens entre les écrits de Verne père et Verne fils, dont on peut d’ailleurs rapprocher « La journée d’un écrivain français en 2889 », de Jean-Pierre Hubert et Serge Ramez, plus délirant et léger, et « Une visite au pavillon Jules Verne » de Jean-Jacques Girardot, aussi touchant qu’il est bref et critique sur le clonage... Stylistiquement, Fabrice Colin impressionne dans « Intervention forcée en milieu crépusculaire » (repris dans Comme des fantômes. Histoires sauvées du feu), une plongée dans l’inconscient de Jules Verne, tiraillé entre réalisme et fiction. Le texte de Jacques Barbéri, qui a donné son titre à l’anthologie, est construit sur le même thème mais avec Jules Verne lui-même aux commandes et à travers une prose plus explosive, réalité mouvante, sexe et délire au rendez-vous. Encore plus brillant, Michel Jeury, dans « Eve, à tout jamais », met en scène un Julian Verne d’une Terre parallèle, concepteur d’une théorie physique de l’univers proprement totalisante, et qui, au cours d’une curieuse Chasse au météore, se retrouve attiré par l’épanouissement littéraire d’un de ses mois alternatifs, au point de faire basculer la réalité. On devine l’ombre de la chronolyse dans cette actualisation très réussie de l’imaginaire vernien. Serge Lehman, quant à lui, dans « Le gouffre des chimères » (reprise dans Le haut-lieu et autres espaces inhabitables), utilise Verne comme élément d’une manifestation quantique issue de l’imaginaire, forte de ses visions frappantes de cet intérieur transformé en bibliothèque d’une vie. Ce riche ensemble est complété par deux brefs commentaires très anecdotiques, de François Angelier (qui s’efforce de prendre le contrepied des analyses habituelles, sans beaucoup de conviction) et de Luc Dutour (inutilement scatologique et tellement facile !). Une anthologie d’une grande qualité, une des meilleures des années 2000, et un parfait reflet de la vivacité et de l’inventivité de la science-fiction française contemporaine.

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