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Utopiales 2012
samedi 5 janvier 2013, par
Jérôme VINCENT (dir.)
France, 2012
ActuSF, coll. "Les Trois Souhaits", 292 p.
Pour la quatrième année consécutive, les éditions Actu SF se chargent de fournir au festival des Utopiales son anthologie officielle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette année, le résultat est à la fois copieux et prestigieux, mélangeant toujours auteurs français et étrangers.
Ecartons d’emblée les nouvelles qui, par leur brièveté, ne parviennent pas à marquer durablement : Pierre Bordage, avec « Origo », signe un récit de voyage spatial qui explore la même thématique que le Tau Zéro de Poul Anderson, en nettement plus succinct ; Sarah Doke livre avec « Fae-space » un amusant contact entre humains et extra-terrestres dans lequel on retrouve ce message si actuel de relativité de la place de l’humanité, combiné à une défense du multiculturalisme et de l’ouverture à l’altérité. On peut en rapprocher « La chose du lac », de Laurence Suhner, variation sur un thème lovecraftien (on pense furieusement à « La couleur tombée du ciel ») à la reconstitution historique sobre et convaincante, mais qui peine à emporter le lecteur par manque de rebondissements marqués et de révélations vraiment inédites. Ces trois nouvelles ne constituent finalement qu’une simple mise en bouche, car la suite du menu est plus consistante.
« La finale » de Nancy Kress, « Petite excursion à l’endroit des atomes », de Tommaso Pincio et « En attendant demain » du duo Laurent Queyssy - Xavier Mauméjean partagent une profonde empathie pour leurs personnages, confrontés à des anomalies qui bouleversent leur vie : dans le premier texte, la capacité de mobiliser les capacités de son cerveau sur une seule pensée et activité, perçue initialement comme potentiellement prometteuse, débouche en réalité sur un autisme rampant généralisé ; dans le second, plein de suggestions et de non-dits, des enfants mutants grandissent dans une Italie visiblement uchronique, berlusconnienne et contaminée ; dans le dernier, c’est la capacité à voir l’avenir qui conditionne la vie d’un jeune garçon, avant qu’il finisse un jour par découvrir la liberté de choix. « En attendant demain » et « Petite excursion à l’endroit des atomes » se distinguent toutefois, plus que par leurs thèmes, relativement classiques, davantage par leur cadre (l’Espagne des derniers feux du franquisme pour « En attendant demain ») et l’authenticité de leurs personnages (le récit de la bouche d’une enfant encore naïve mais déjà subtile dans « Petite excursion à l’endroit des atomes »).
C’est d’ailleurs un des atouts maîtres du fleuron de ce recueil, la nouvelle de Robert Charles Wilson, « L’observatrice ». On retrouve là cette science-fiction profondément humaine, sensible, dont est coutumier l’auteur, mise ici au service d’une crise d’adolescence matérialisée dans des visions de petits gris avant l’heure. La rencontre de la narratrice avec l’astronome Hubble, très touchante, nous invite à réfléchir sur le statut de l’observateur en science, non sans nous déstabiliser et en proposant une explication autrement plus lumineuse des visites et enlèvements extra-terrestres. Neil Gaiman et Claude Ecken signent deux autres petits bijoux littéraires. Le premier, avec « Et pleurer, comme Alexandre », livre un texte truculent, plein de drôlerie à travers son personnage de désinventeur, un clin d’œil appuyé au rétrofuturisme actuel et un pied de nez aux nouvelles technologies… Le second, dans « La fin de Léthé », opère sur une veine plus tragique et touchante, en proposant une vision d’une maladie très connue à la fois science-fictionnelle et bouleversante d’humanité. Une nouvelle définitivement marquante, en particulier pour tous ceux qui ont déjà été confrontés à ce type de pathologie, et qui aurait d’ailleurs tout à fait pu trouver sa place dans Au réveil, il était midi.
L’anthologie se conclut par un hommage à Roland C. Wagner, signé d’Ayerdhal. Simplement intitulé « RCW », c’est une nouvelle à la manière des Futurs mystères de Paris, qui brasse également toute la création de l’écrivain français où le jeu sur la métatextualité se joue de la volonté de le panthéoniser.