Vestiges

Laurence SUHNER

Suisse, 2012

L’Atalante, coll. "La dentelle du cygne", 576 p.

Vestiges est le premier roman de l’auteure suisse Laurence Suhner, déjà connue pour son travail de scénariste en BD et de nouvelliste (elle était au sommaire de Dimension Suisse). Un roman qui ne manque pas d’ambition pour ses débuts, puisqu’en plus d’être particulièrement épais, ce livre n’est que le premier tome d’une future trilogie. Pleinement inscrit dans ce sous-genre du space opera qu’est le planet opera, Vestiges relève également d’une thématique explorée en particulier par John Brunner ou Jack McDevitt, celle de l’archéologie extra-terrestre.

Nous sommes au XXIIIe siècle, sur Gemma, une planète de type terrestre qui orbite autour d’une étoile binaire, à dix-sept ans de voyage du système solaire. Cette première colonie humaine doit affronter des conditions climatiques extrêmes, la planète étant recouverte d’une épaisse couche de glace. Mais ce qui contribue à son mystère, c’est la présence en orbite d’un gigantesque artéfact d’une soixantaine de kilomètres de longueur, le Grand Arc, impénétrable en dépit de toutes les tentatives qui ont pu être faites. L’énigme reste donc entière sur sa nature et sur celle de ses géniteurs, les Bâtisseurs, jusqu’au jour où une expédition est organisée dans le plus grand secret. Sa responsable, Ambre Pasquier, a repéré grâce à ses cauchemars récurrents l’emplacement d’une antique construction à la surface originelle de Gemma. La planète semble avoir en effet subi, 12 000 ans auparavant, un cataclysme dantesque ayant conduit à sa glaciation totale. Autre énigme, l’existence d’un collapsus spatio-temporel générateur d’accidents à la surface du glacier, les véhicules y subissant un vieillissement accéléré inexplicable. Une tentative de coup d’Etat militaire et un étrange réveil se combineront pour faire basculer l’action vers l’horreur…

Assurément, Laurence Suhner s’est largement documenté pour écrire ce roman, ce qui nous vaut, à la Kim Stanley Robinson, des développements sur les glaciers ou la physique quantique, mise ici en résonnance avec la mythologie hindoue ! L’auteure n’oublie pas pour autant ses personnages, bien au contraire. Ambre Pasquier, dont le passé la tourmente, le bravache Haziel Delaurier ou la jeune et impulsive Kya sont ainsi dotés de beaucoup de caractère, rendant la lecture très empathique. Le contexte socio-politique est également un point fort du roman. Gemma est en effet en proie à une agitation souterraine émanant des « enfants de Gemma », un groupe indépendantiste qui refuse l’exploitation de la planète et la reproduction des désastres écologiques que la Terre a pu connaître.

Par ailleurs, l’originalité du récit est de ne pas traiter l’ancienne civilisation géméienne comme définitivement morte, mais d’en brosser des portraits vivants, soit via des flash-backs, soit par le biais des cauchemars vécus par Ambre Pasquier. Se laisse alors entrevoir un peuple marqué au fer rouge de la religion, surplombé par deux entités antagonistes, dont les aperçus (ainsi que l’apparence du Grand Arc, d’ailleurs) ne seront pas sans rappeler aux afficionados le gritche de Dan Simmons (Hypérion), et plus largement les Grands Anciens lovecraftiens revisités par August Derleth et/ou Brian Lumley. Des visions qui compensent en partie le manque partiel de surprises induit par ce choix narratif.