Accueil > CINECSTASY > G > GIORGINO
GIORGINO
mercredi 1er juin 2005, par
Réalisateur : Laurent BOUTONNAT (1961-)
Année : France, 1994
Acteurs : Jeff Dahlgren, Mylène Farmer
Giorgino fut en son temps un échec retentissant, stigmatisé par une certaine critique pour son ambition qui semblait à la fois démesurée et erronée : pensez donc, un réalisateur de clips, également compositeur des musiques de Mylène Farmer, qui s’essayait au cinéma ! Et pourtant, si l’on fait abstraction de toute considération de personnes, Giorgino est un incontestable succès dans le genre choisi, celui d’un fantastique ancré dans l’histoire.
A quelques semaines de la fin de la première guerre mondiale, le docteur Volli, combattant sous l’uniforme français, est démobilisé pour raisons de santé. Désireux de reprendre l’œuvre de ses parents adoptifs, créateurs d’une fondation prenant en charge les enfants anormaux, il retourne à l’orphelinat dans lequel il travaillait. Il y apprend que les enfants avaient été déménagés au début de la guerre pour être envoyés dans un autre orphelinat, situé dans les montagnes, près du village de Chanteloup. Mais lorsqu’il y parvient, c’est pour tenter d’éviter sans succès le décès de la femme du docteur, qui s’était pendue, et surtout pour apprendre que les douze enfants sont morts... Par la suite, Volli mène une sorte d’enquête, apprenant que les enfants auraient été noyés, et que le docteur De Grasse qui en avait la charge a perdu la raison, sans parler de la fille de ce dernier, Catherine, quelque peu attardée, que les villageoises accusent d’avoir noyé les enfants. Mais comment dans ce cas expliquer que les enfants aient réalisé de nombreux dessins de loups... qui sont censés n’avoir jamais existé dans la région ?
On le voit, l’ambiance est particulièrement sombre, et bien des éléments évoquent une atmosphère typiquement gothique : des bâtiments noyés dans la neige, des paysages naturels perdus dans l’obscurité, un orphelinat aussi vaste que vide, une prééminence du noir, etc... Quant à l’angoisse, elle est plutôt finement distillée, par le biais de certaines scènes, telles la silhouette à la lanterne rencontré par Volli en pleine nuit ou la descente dans la cour des miracles de Sainte Lucie. Le fil rouge du film est en tous les cas l’enfance, et ce dès l’ouverture, mais une enfance qui est niée, écrasée, bafouée, méprisée... La plupart des personnages, en dehors du docteur Volli, considèrent ces enfants handicapés mentaux comme inférieurs, et tous semblent avoir définitivement perdu leur propre âme d’enfant. On a là un portrait peu amène de l’humanité, qui ne veut ni ne peut comprendre l’anormalité, alors que ses représentants affichent eux aussi des difformités : le curé est boiteux, la fille de l’aubergiste quelque peu dégénérée, et toutes les femmes de Chanteloup sont amputées qui de leurs maris, qui de leurs fils.
Mais sont également condamnées la guerre et la médecine « psychiatrique » de l’époque : la première avec cette scène terrible du retour des cercueils à Chanteloup, la seconde avec la visite de Volli à l’hôpital Sainte Lucie, où avait été interné le docteur De Grasse. En dehors de quelques répliques savoureuses de la part de son directeur (« la subversion et la démence sont d’une même famille »), la découverte du traitement imposé aux malades, et particulièrement du sous-sol, véritable enfer sur Terre dans lequel sont enfermés les cas les plus graves, victimes d’un véritable processus de bestialisation, suffisent à stigmatiser certaines des conceptions de l’époque concernant les aliénés... D’ailleurs, le film tout entier, et sa fin en particulier, n’est-il pas une gigantesque métaphore de la folie ? Giorgino, film atmosphérique qui se rapproche parfois du muet, mérite en tous les cas assurément d’être redécouvert.