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Muséums
samedi 29 juin 2013, par
Christophe THILL (1965-), dir
France, 2012
Malpertuis, coll. "Brouillards", 408 p.
Excellente idée qu’ont eu les éditions Malpertuis, extrêmement dynamiques dans le domaine du fantastique contemporain, de mettre en chantier une anthologie consacrée aux musées, tant ces endroits véhiculent de magie et de mystère (on pense entre autre à la nouvelle de Serge Brussolo « Trajets et itinéraires de l’oubli » dans Aussi lourd que le vent).
Le recueil débute d’ailleurs très fort avec le « Guide du Muséum de Rascanges » de François Férobe, une succession de conseils et de descriptions concernant un musée imaginaire aussi improbable que fascinant : tellement hypnotisant qu’on en redemande ! « La Tourbière » de Romain Champion relève globalement de la même démarche, le musée de Saint-Pétersbourg visité par le narrateur révélant en pleine nuit sa véritable nature, et si la chute ne brille pas nécessairement par sa grande originalité, le texte se révèle prenant par l’atmosphère subtilement inquiétante qu’il distille. « Le musée des âmes » de Jean-François Seignol se distingue par son ancrage en pleine science-fiction, émouvante collection de témoignages sur les civilisations extra-terrestres disparues et sur un amour également dissipé à jamais. Frank Ferric est également à rattacher à ces trois auteurs, car « Le Musée des vapeurs » qu’il nous fait parcourir est extrêmement original et improbable. Robert Darvel part d’un jeu de mot sur le terme de « Musée-Homme » pour proposer une visite onirique et délirante à travers notre psyché. Fabien Clavel privilégie une thématique proche dans « Le musée de soi-même », le mausolée édifié par cet architecte pour son œuvre qu’il redécouvre sous un jour nocturne abritant une mémoire gangrenée et de profondes peurs d’enfant. Touchant, « Voleur » d’Emmanuelle Cart-Tanneur met en scène un homme mal dans sa peau qui parvient à faire sortir des tableaux objets ou êtres vivants, afin de peupler un quotidien morose ; une certaine poésie plane sur ce texte, jusqu’à une belle ouverture sur l’accomplissement d’un désir profond. « Jeanne était au pain sec » n’en est pas éloigné, mais en négatif ; ce récit est d’ailleurs au sommaire de l’anthologie d’Anne Duguël, Mémoires d’une aveugle (sous un titre légèrement plus long). Deux nouvelles (auxquelles on pourrait éventuellement rattacher celle de Romain d’Huissier, voir ci-dessous) rappellent que Malpertuis a précédemment publié une anthologie dédiée à Lovecraft : « L’objet K » d’A. Kowski est une déclinaison très efficace du pouvoir cosmique des Grands Anciens, incarné ici dans une statuette plus que dérangeante ; « Le secret de Canaletto » de David Miserque est encore meilleur, avec son tableau inédit du peintre vénitien Canaletto, dont on suit avec passion la (re)découverte de sa véritable nature. Anne Goulaine et ses « Chroniques d’un cabinet de curiosités » parvient enfin à séduire, en alternant la quête d’un ancien érudit allemand pour les éléments féériques de notre monde et la redécouverte de ce patrimoine par un employé de musée, via de réelles touches d’émotion.
La visite de ces Muséums n’est toutefois pas d’une qualité constante. « L’affaire de l’épidémie dansante » de Nico Bally, une enquête policière autour d’étranges modifications intervenant sur des œuvres d’art, relève ainsi, en particulier dans sa révélation finale, de la littérature jeunesse. Il en est de même pour le texte de Julie Conseil, « La lyre à trois cordes », avec son histoire de musée hantée par trois muses grecques qui jettent leur dévolu sur un financier en pleine ascension, et celui de Blanche Saint-Roch, « Les malédictions croquées », centré sur un frère et une sœur dotés de pouvoirs et employés afin de retrouver et détruire les objets maléfiques existant sur Terre. « Tourbe millénaire » de Loïc Lendemaine, qui prend place entre les murs du célébrissime British Museum et utilise un rat comme narrateur, n’est malheureusement rien de plus qu’une histoire d’amour par-delà la mort. « La véritable histoire du Quetzacoatlus » de Régine Philippe donne également l’impression d’une montagne -ici le Muséum d’histoire naturelle de Paris- accouchant d’une souris, avec ce fantôme venu terminer son travail de reconstitution paléontologique. Dans « Chimères » d’Irène Maubreuil, l’idée d’un rite de passage imposé aux nouveaux personnels du même Muséum d’histoire naturelle de Paris verse un peu trop dans le gore, sans que l’on en devine clairement le sens. C’est le même défaut qui ressort de « Le directeur des ressources humaines ; l’autre » de Mathias Moucha, ces veilleurs d’une nuit recrutés pour servir de proie aux squelettes de dinosaures ne parvenant jamais à s’avérer crédible. Il en est en partie de même pour « Le musée des damnés » de Léo Lallot, sympathique évocation d’un musée dédié aux phénomènes recensés par Charles Fort, mais dont le fleuron, un crâne de cristal du même type que ceux du dernier Indiana Jones, possède des pouvoirs psychiques sans en posséder… Comprenne qui pourra ! Quant à « Echographie d’un petit pois », de Ludmila Safyane, la nouvelle s’apparente plus à un collage de visions oniriques qu’à une histoire digne de ce nom. Cédric Citharel, dans « Art nouveau », imagine une forme d’art sans précédent, mais son idée de destructions gratuites d’œuvres d’art du passé apparait par trop dénuée de cohérence, et ses arts spirituels ressemblent fort à une déclinaison du mirage mystique du Katmandou des années 60-70. Quant au texte qui conclut le recueil, « Seul », de Jean-François Lubin, il est vite oublié, en raison de son thème éculé -le dernier homme sur Terre- et de la brièveté de son intrigue.
Ni décevantes ni exceptionnelles, plusieurs nouvelles se révèlent agréables sans être inoubliables. « Gombessa song » de Véronique Pingault est centrée sur le coelacanthe, exposé dans un musée et qui, au détour de quelques formules bien troussées, révèle sa vraie nature, nouvelle métaphore de la revanche de la nature sur l’humanité. Dans « Les rouages du destin », de Terry Montcalm, c’est à un de ces automates dont était si friand le XVIIIe siècle que l’on est confronté, un automate qui semble pourtant écrire des messages ne faisant pas partie de sa programmation… Jess Kaan, dans « Pazuzu », préfère se concentrer non sans un certain brio sur la violence humaine, ici celle de la seconde guerre d’Irak, s’insurgeant au passage sur le pillage des antiquités mésopotamiennes, toléré sinon encouragé par les autorités étatsuniennes. La violence est également au cœur de « Le maître des curiosités », de Bernard Leonetti, ce musée des pires horreurs humaines se révélant une idée intéressante, bien que sous-exploitée (quid des massacres de masse, par exemple, et des tueurs ordinaires ?). Les « Reliques » de Pascal Sacré sont une variante sur le thème de la possession, rejoignant en partie « Pazuzu », le substrat de ces statuettes aztèques servant surtout de prétexte. On lui préfèrera nettement « Sarah » de Nelly Chadour, cruelle histoire autour des restes conservés de la Vénus Hottentote. Avec « Hors de l’Eden » de Romain d’Huissier, on se délecte d’une histoire sympathique tournant autour de l’histoire mystérieuse du monde, mais l’impression dominante reste celle d’un thème prometteur insuffisamment exploité. Il en est de même pour l’énigmatique « La machine des Incas » de Georges Mougard, bien trop allusif et bref, malgré un sujet prometteur. Bernard Weiss et sa « Notre Dame des marrons » part sur de bonnes bases, en évoquant la mémoire d’une expédition du XVIIIe sur l’île Bourbon et de l’esclavage, mais le manque d’explicitations quant à l’identité de ce mystérieux ange bleu, plus ou moins protecteur des esclaves en fuite, laisse clairement une impression d’inachevé. De même, sur cette recherche d’une ancienne expédition lointaine, Julien Heylbroeck livre avec « Bicéphalite » un récit frappant, en particulier par cette image d’un bébé double et cette île inquiétante, mais la chute de la nouvelle, trop prévisible, n’est malheureusement pas du même niveau. « Le sourire du dodo », signé Olivier Caruso, relève de la science-fiction, et si son évocation du remplacement de l’humanité aux capacités reproductives déclinantes par une espèce hybride demeure un thème relativement traditionnel, sa nouvelle parvient à marquer suffisamment grâce à un style privilégiant la folie et la démence. Quant à « L’éveil » d’Aurélie Ligier, c’est une variante sur le thème des contes de fées qu’elle nous offre, une suite sympathique de Blanche Neige et des autres héroïnes confrontées à une sorcière collectionneuse.
Muséums apparaît donc, grâce à ses textes phares et au grand nombre de nouvelles plaisantes, comme une anthologie que l’on peut franchement conseiller, en espérant d’éventuelles nouvelles déclinaisons, ainsi de stimulantes Bibliothèques…