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Les Voies d’Anubis
samedi 20 juillet 2013, par
Tim POWERS (1952-)
Etats-Unis, 1983, The Anubis Gates
Bragelonne, 2013, 480 p.
Il suffit de parfois pas grand chose pour donner envie de lire un livre, et une belle édition, même d’un bouquin qui affiche maintenant ses 30 ans, peut faire saliver l’être primaire que je suis. La superbe édition grand format des Voies d’Anubis de Bragelonne, avec ses dorures sur tranche, a au moins réussi cela chez moi, alors que je ne suis pas vraiment un fan de steampunk. En le lisant j’ai eu deux surprises.
La première, immédiate, fut le style. Gérard Lebec a fait un superbe travail et je comprend que Bragelonne n’ait pas jugé nécessaire de fournir une nouvelle traduction ou de réviser l’œuvre de Lebec qui date de 1986. Je n’ai pas souvent l’occasion de lire de la SF qui présente un style aussi travaillé. Il y a de bon conteurs, dont les mots coulent avec fluidité (les derniers que j’ai lus sont en Fantasy et s’appellent Rothfuss ou Pevel), mais Les Voies d’Anubis offre un style qui m’apparaît plus littéraire, peut-être à cause de ses incises entre autres effets.
La deuxième surprise fut l’histoire. Londres en 1810 : une ville charmante dans les bas-fonds de laquelle vivent des mendiants organisés en bandes, secouée par les meurtres du mystérieux Joe Face-de-chien et le décès d’étranges créatures à la pilosité animale, capitale d’un empire qui se construit ce que tous ne voit pas d’un bon œil à l’instar de sorciers égyptiens désireux d’empêcher la Grande-Bretagne de prendre pied en Egypte. C’est aussi la ville que fréquentent les poètes romantiques Byron, - quand il ne passe pas son temps en Grèce - ou Coleridge. Brendan Doyle, universitaire américain, connaît bien ce dernier, lui ayant consacré une biographie, et son époque. Alors qu’il travaille sur une autre biographie de poète, celle de l’énigmatique William Ashbless [1], il est engagé à prix d’or par le richissime Darrow pour tenir une conférence à Londres sur Samuel Coleridge. L’offre se refuse d’autant moins que sur place Doyle découvre que son employeur a mis à jour des des brèches dans le temps, ouvertes pendant une durée variable, et permettant de se rendre à une date précise. Moyennant cela, il a organisé une excursion pour richards intello afin d’aller écouter Coleridge tenir une conférence dans une taverne londonienne en 1810. Tout se passe bien, jusqu’à ce que Doyle perde de vue son groupe et se fasse kidnapper sur les ordres d’un sorcier qui tient sous sa coupe des bohémiens et une des plus redoutables bandes de mendiants de Londres. Abandonné à son sort en 1810, Doyle ne peut plus compter que sur sa connaissance des poètes de l’époque pour s’en sortir. La poésie n’est peut-être pas la meilleure arme pour survivre à l’époque.
Plus j’avançais dans le livre, plus je me suis convaincu qu’il n’avait rien de steampunk, alors qu’il est considéré comme un livre fondateur du genre. Certes l’action se passe au XIXe siècle, mais celui-ci n’a rien d’uchronique et l’ère industrielle naissante est à peine évoquée. Point de machine à vapeur et donc bien sûr d’extrapolations technologiques dérivées. Il y a en revanche de la magie répondant à certaines règles mais dont l’origine n’est pas établie. L’existence d’un complot visant à déstabiliser l’Empire britannique et d’une société secrète pour le contrer suffit certainement à inscrire Les Voies d’Anubis dans le genre de l’histoire secrète, mais pas dans celui de l’uchronie. D’autant plus que Tim Powers a eu à cœur d’ancrer son roman dans l’Histoire, en utilisant des événements et des personnages historiques comme le massacre de la citadelle (mars 1811) auquel aurait bel et bien survécu uniquement d’un certain Hamin, ou surtout lord Byron dont des extraits de la correspondance ouvrent parfois les chapitres. Dans le cas du chapitre 7, il s’agit bien d’un extrait d’une lettre réelle de Byron - ce qui a sans doute poussé Powers à créer le personnage de Romanelli -, mais je n’ai pas (encore) retrouvé la lettre de 1820 qui ouvre le chapitre 8 et je doute sérieusement de son existence.
Ce soin du détail a contribué à me faire apprécier le livre, mais ce sont surtout les personnages de Joe Face-de-Chien et d’Ashbless qui me le font aimer. Avec eux, le roman constitue d’une part un vibrant hommage à la naissance du roman fantastique, d’autre part un récit achevé de voyage temporel. Le style, les personnages de mendiants outranciers, le croisement des destinées m’ont rappelé les romans populaires du XIXe siècle, ceux de Paul Féval, à cause des Mystères de Londres, et de Charles Dickens surtout à cause du cadre social. Le personnage de Romanelli m’a fait penser à celui du Balsamo d’Alexandre Dumas. Je ne cessais aussi de penser à une nouvelle, plus tardive, de Sherlock Holmes,« L’Homme à la lèvre tordue » [2].
Un livre précieux.
[1] Renseignements pris, il apparaît que Tim Powers a inventé ce nom avec son comparse James Blaylock lors de leurs études universitaires. A la même époque, de manière tout à fait involontaire, ils utilisèrent ce nom, chacun dans un roman.
[2] cf. Les Aventures de Sherlock Holmes.