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La Fille automate

samedi 7 septembre 2013, par von Bek

Paolo BACIGALUPI (1972-)

Etats-Unis, 2009, The Windup Girl

Situation fascinante que celle mise en scène par Paolo Bacigalupi (avec un nom comme le sien, il aura de la chance si je n’inverse pas deux consonnes par inadvertance) dans la Fille automate. Fascinante et aussi horrible que probante.

D’un certain point de vue, le livre pourrait aussi bien se résumer sans même évoquer d’aspect science-fictif : Anderson Lake est en apparence le directeur d’une usine de production de pile installée à Bangok pour une société étrangère. En réalité, il travaille pour une grande compagnie de bio-ingénierie qui l’a chargé de mettre la main sur des spécimens de végétaux. Or, l’entrée ou la sortie de produits biologiques ou de technologies, comme de travailleurs, est sévèrement surveillée par le gouvernement, tout particulièrement par le ministère de l’environnement dont c’est la fonction première. Les chemises blanches de ce ministère sont craintes autant pour l’absence de demi-mesures avec laquelle elles appliquent la loi que pour les pots de vin qu’elles pourraient bien exiger pour fermer les yeux. La rigueur de leur représentant le plus célèbre, le capitaine Jaidee Rojjanasukchai, est la hantise du ministère du commerce dont le représentant ne partage pas le repli sur soi du pays. Les chefs d’entreprises étrangers installés à Bangok le redoutent tout autant. Aussi Anderson Lake cherche-t-il a obtenir ce qu’il souhaite en négociant un accord avec le Commerce contre l’Environnement. En langage politique, cela s’appelle au mieux une révolution de palais, encore qu’il ne soit pas prévu de renverser le Somdet Chaopraya, le Premier ministre en quelque sorte.

Résumé ainsi, La Fille automate fait penser à John Le Carré, Graham Greene et même, en remontant plus loin, à Kipling lorsqu’il évoquait les nuances subtiles et complexes de l’Inde coloniale. Le chapitre dans lequel les blancs capitalistes s’adonnent à l’alcool (ou à l’opium) dans un bar qui est en quelque sorte leur foyer, aurait aussi bien pu être mis en scène au XIXe siècle.

Mais ce n’est pas le cas. Il est d’un siècle qui ne dit pas son numéro et encore moins son millésime. En lisant le roman, le lecteur peut reconstituer progressivement la situation. Les hydrocarbures se sont épuisés et l’énergie est devenue un problème au point que l’on se batte pour le charbon. Surtout la fin du pétrole a signifié la fin de la mondialisation, laissant des pays d’une part dépourvue d’économie viable car trop spécialisés, d’autre part incapable de se nourrir parce que dépendant des graines OGM fournies par les grandes compagnies agro-alimentaires - comme AgriGen pour laquelle travaille Lake - qu’ils n’ont plus les moyens de se payer et en plus en proie aux maladies fruits des mutations des organismes confrontés à des plantes conçues pour leur résister. La virtuosité avec laquelle Paolo Bacigalupi a su suggérer le destin qu’il imagine, sans avoir à se livrer à une fastidieuse et peu naturelle explication, mais sans perdre son lecteur non plus dans des allusions incompréhensibles, est la manifestation d’un réel talent.

La Thaïlande, comme ses voisins, a souffert, mais, contrairement à eux, a su organiser sa survie, grâce au ministère de l’environnement mais aussi, suspecte Lake, à un savoir venu de l’extérieur. Elle est devenu un refuge pour les Chinois qui ont pu fuir la Malaisie tombée dans le fanatisme religieux, mais c’est un refuge fragile. Hock Seng, qui a tout perdu une première fois en Malaisie, en a parfaitement conscience. Ajouté à cela, la montée du niveau des océans menace la ville protégée par des digues et un système de pompes alimentées par une énergie onéreuse.

J’ai trouvé particulièrement fascinante cette vision de l’avenir qui échappait au modèle cyberpunk, non moins anarchique mais beaucoup plus dépendant de l’énergie, plus couramment proposé. Dans La Fille automate, pas de réseau mais des ordinateurs poussifs alimentés par des dynamos animales, pas de téléphone portable mais des messagers, pas de véhicule alimenté par l’énergie solaire, mais des vélos, des dirigeables, des clippers. On est au bord du steampunk. On serait même dedans n’eussent été la fille automate et les organismes mortels.

La fille automate, c’est Emiko, prodige du génie génétique japonais. Elle est conçue pour servir, faire plaisir et bien sûr le donner. Dans le Japon du roman de Bacigalupi, elle et ses pareils sont courants, mais sont des monstres dans la Thaïlande du capitaine Jaidee. Abandonnée là, dans un climat pour lequel elle n’a pas été créée, elle ne survit que grâce à la protection d’un souteneur tenancier de club de strip-tease, mais au prix des pires humiliations. Quand son chemin croise celui d’Anderson Lake, c’est l’éternel histoire de la prostituée et du riche qui recommence.

Un prix Hugo largement mérité.

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