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New Byzance
samedi 1er mars 2014, par
Scénario : CORBEYRAN (1964-)
Dessin : Eric CHABBERT
Glénat, coll. "Grafica", 3 vol., 2008-2010
Vaste et ambitieuse saga que ces Uchronie(s), puisque sa première série s’étend sur trois trilogies parallèles et un volume conclusif de l’ensemble.
Ruines sert surtout à mettre en place une intrigue, présenter des personnages attachants et ferrer le lecteur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’entreprise est réussie ! Le contexte général demeure flou, sans point de divergence explicite, et les seuls éléments stables sont que l’on se situe dans un XXIe siècle alternatif, marqué lui aussi par un traumatisme du 11 septembre. Mais là où New York est le symbole d’un capitalisme débridé dans notre monde, la métropole dont il est ici question, New Byzance, est dominée par une idéologie fondamentaliste, fortement inspirée de l’islam (l’obligation pour les femmes de porter un cache sur le bas du visage, la décoration intérieure de style arabo-musulman), et cherche à toute force la suppression des déviances. Pour ce faire, un corps a été mis en place, celui des prescients, chargés d’importer dans l’esprit des criminels, réels ou par la pensée, des rêves destinés à décourager de (nouveaux) passages à l’acte.
Le jour où l’un d’entre eux, Zacharie Kosinski alias Zack, voit ses capacités s’amoindrir, il s’enfuit afin de ne pas se faire supprimer, et trouve refuge chez Tia, une jeune femme noire qu’il avait pu identifier car elle était une récurrence de ses propres songes, dans lesquels elle était une policière zélée. Par son intermédiaire, il fait la connaissance d’Emily, l’ancienne épouse du plus brillant architecte de New Byzance, menacée par ce dernier qui entretenait une liaison et menaçait de la défigurer afin de demander le divorce, action visiblement tout à fait légale. Emily avait alors trouvé refuge auprès de la mystérieuse Tia, qui lui avait auparavant fait découvrir des plaisirs interdits… L’action est rondement menée, efficace sans jamais être envahissante, et les personnages intéressants, de l’accorte Emily au plus cynique Zack, en passant par l’énigmatique Tia. La dernière planche du tome 1 a de quoi décontenancer et interroger, puisqu’Emily et Zack débouchent dans une zone interdite à la périphérie de New Byzance, où s’étalent les ruines du complexe Utopia, qui n’était pourtant encore qu’à l’état de projet…
Le second volet, Résistances, aurait tout aussi bien pu s’intituler Révélations. C’est en effet le moment où, ayant rejoints la résistance, Emily et Zack bénéficient des explications de Andy Miller, un discours hard-science qui permet de comprendre le lien entre les uchronies (qui semblent émerger à des moments clef, des carrefours de l’histoire) et les prescients. Emily capturée et soumise à une procédure de rééducation par le rêve, c’est Zack qui doit s’efforcer de lui venir en aide, et surtout de libérer un prisonnier de grande valeur, Hassan, scientifique de génie, concepteur d’un nouveau matériau en lien avec l’ouverture vers des histoires parallèles, et dont la femme, Aïcha, fut une combattante féministe de premier plan avant qu’elle ne succombe aux tentatives de rééducation. Comme le premier tome, Résistances se conclut par une révélation forte, à l’image de bien des séries télévisées contemporaines.
Réalités voit donc Zack continuer à œuvrer pour la résistance, et Hassan pour les dirigeants de la théocratie fondamentaliste, inquiet qu’il est du sort potentiel de son fils… Mais le personnage central de ce troisième et dernier tome de la première trilogie, c’est Tia, courtisane le jour, agent secret la nuit, dont le double, voire le triple jeu nous est finalement révélé (c’est elle en particulier qui est derrière l’arrestation d’Emily dans Résistances). C’est par son biais que nous allons découvrir la véritable nature d’Hassan (et la sienne par la même occasion), avec un climax intense (même si les héros ont toujours une propension marquée à éviter les balles de leurs adversaires !) et un débouché direct sur New Harlem…
Cette première trilogie est un vrai succès, qui sait user de l’action sans excès, et s’ingénie à déployer un scénario suffisamment exigeant, qui n’a pas peur de la noirceur, comme en témoigne à elle seule la terrible fin de Réalités… L’architecture, enfin, est une jolie réussite, avec ces panoramas de gratte-ciel environnés de dômes… Sont dénoncés aussi bien les théocraties totalitaires que le capitalisme ultra-libéral, avec la technoscience dont ils peuvent se servir, via un discours très militant (pp.30-31 de Ruines) et des perspectives franchement dystopiques. Il reste toutefois des incohérences qui affectent la qualité du scénario, principalement celui de Résistances. A commencer par les conditions ayant permis à Omar, leader de New Byzance, de prendre le pouvoir dans la ville, à la suite de la vague d’attentats perpétrés dans le monde par Al Qaïda. D’ailleurs, on peut également s’interroger sur la raison du choix de ce nouveau patronyme, Byzance ne correspondant à aucune référence historique de valeur pour la religion musulmane… Enfin, lorsque la résistance envoie Zack et Emily en mission d’espionnage lors d’une soirée huppée des potentats de New Byzance, comment ne pas anticiper sur la probable présence de l’ancien mari d’Emily, architecte vedette de la métropole ?