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La Longue Terre
samedi 28 septembre 2013, par
Stephen BAXTER (1957-) & Terry PRATCHETT (1948-2015)
Grande-Bretagne, 2012, The Long Earth
L’Atalante, 2013, 384 p.
ISBN : 9782841726370
Quoi de plus éloigné, a priori, que Terry Pratchett, célèbre pour ses Annales du Disque-Monde et adepte d’une fantasy à l’humour débridé, et Stephen Baxter, ponte de la hard-science et d’une science-fiction visant d’abord la sidération ? Pourtant, les deux Britanniques ont choisi de collaborer pour le projet de La Longue Terre, prévu pour se décliner en au moins deux romans. Difficile de savoir quelle est la part revenant à chaque auteur, d’autant que les problèmes causés par la maladie d’Alzheimer de Terry Pratchett n’ont pas dû faciliter une rédaction équitable. Quoi qu’il en soit, le résultat est d’une grande homogénéité, et on retrouve ce qui fait la force des deux auteurs, même si l’humour n’est pas toujours aussi présent que l’on aurait pu le souhaiter : à Pratchett la présence de trolls, d’elfes ou d’une communauté pour le moins originale (les Victimes de l’abus de confiance cosmique, qui copulent à qui mieux mieux et se saoulent de marijuana) ; à Baxter la vision étourdissante des Terres parallèles et les quelques explications scientifiques.
Dans un proche avenir, le Jour du Passage a ouvert les yeux de l’humanité sur un horizon proprement démesuré. C’est ce jour-là qu’un mystérieux inventeur, Willis Linsay, résident de la petite ville de Madison, nichée au cœur des Etats-Unis, a envoyé sur internet le mode d’emploi d’un boitier fonctionnant à la pomme de terre (sic) et permettant de se déplacer sur des Terres parallèles. Si la plupart des passeurs souffrent de nausée à l’issue du transfert, ce n’est pas le cas de Josué Valuenté, jeune orphelin capable de se déplacer sans appareillage… La démocratisation du voyage bouleverse l’équilibre précaire de la Terre originelle, baptisée PrimeTerre. Si certains Etats ne font que réitérer leurs tendances impérialistes en tentant de contrôler une expansion infinie et problématique (le fer ne peut absolument pas être déplacé de Terre à Terre), bien des individus des classes moyennes se lancent dans des expéditions visant à faire fortune ou, plus souvent à retrouver une vie plus authentique. Josué, pour sa part, est engagé par l’entreprise transTerre, chargé de collaborer avec un distributeur de boissons (resic), en réalité une IA bouddhiste du nom de Lobsang, dont l’objectif est de se rendre en dirigeable aux confins de la Longue Terre… Commence alors un long voyage à travers plusieurs millions (!) de Terres plus ou moins différentes, sur lesquelles la vie intelligente semble avoir souvent du mal à émerger, et fuir devant une menace inconnue venue de l’ouest...
Car c’est bien l’évolution, chère à Baxter, qui est au cœur de l’intrigue, celle de l’humanité (les passeurs-nés) ou celle d’autres branches, l’intelligence pouvant prendre la forme d’espèces humanoïdes (l’origine de bien des créatures fantastiques de nos mythologies), voire même une apparence singulièrement autre (on pense au Métamorphe de Gandahar, que les deux auteurs ne connaissent probablement pas, ou à l’océan pensant de Solaris). Dans cette vision sans limites d’une infinité de Terres parallèles, déjà mise en scène dans la série télévisée Sliders, par exemple, Pratchett et Baxter semblent rendre en partie hommage à la saga du Fleuve de l’éternité de Philip José Farmer : le dirigeable a en effet été appelé le Mark Twain, et sa quête n’est pas sans évoquer celle du Bateau fabuleux… Mais les clins d’œil sont plus larges, englobant aussi bien Robert Henlein qu’Arthur C. Clarke, avec qui Baxter avait collaboré. Le terrain de jeu est ici infini, et si l’on y retrouve l’esprit pionnier cher aux fondateurs des Etats-Unis ou l’archéologie extra-humaine, telle qu’elle est au cœur des romans de Jack McDevitt, La Longue Terre apparaît surtout, en ces temps de crises en tous genres, comme l’opportunité de nouveaux départs, d’une fuite hors d’un monde où l’être humain est de plus en plus aliéné et dépendant de la technologie. Une lecture agréable et prenante, servie par un savoir-faire de grands professionnels, et d’où n’émergent que de rares incohérences internes (comment sérieusement imaginer que des parents abandonnent définitivement leur petit garçon qu’ils aiment sur PrimeTerre pour aller refaire leur vie ailleurs ? D’autant qu’il aurait été possible de l’emmener avec eux, ainsi qu’on l’apprend un peu plus tard…).