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L’Ombre de Judex

samedi 21 décembre 2013, par Maestro

Jean-Marc LOFFICIER (1954-), dir., d’après Arthur BERNEDE et Louis FEUILLADE

France, 2013

Black Coat Press, coll. "Rivière blanche", 570 p.

Ainsi que la sous-division noire de Rivière blanche l’avait fait pour le Nyctalope, un volume est tout entier consacré à un des personnages récurrents des Compagnons de l’ombre. A la différence de Léo Saint-Clair, toutefois, Judex, alias Jacques de Trémeuse, avait jusqu’à présent droit à un éclairage plus congru. Il est clair qu’avec ce pavé, cette méconnaissance partielle sera levée ! Judex, justicier à la part d’ombre, précurseur de Batman, fut d’abord un héros cinématographique, né pendant la Première Guerre mondiale, et qui ne connut pas la célébrité d’un Fantômas (les quelques livres sont seulement la transposition des scénarios cinématographiques, et les seuls autres longs métrages furent réalisés en 1934 et 1963). Pas moins de vingt-six nouvelles sont au menu de L’Ombre de Judex, classées dans l’ordre chronologique de leur déroulement des faits, et si certaines sont reprises des différents tomes des Compagnons de l’ombre (CdO), d’autres sont totalement inédites.

« Les Acolytes de l’ombre » de Rick Lai, qui se penche sur les origines familiales de Judex, à travers sa mère et son expérience au service d’une créature du Fantôme de l’Opéra, est intéressant, bien que manquant un peu d’audace et de souffle (en plus d’une vision pour le moins caricaturale de la Commune de Paris). Seulement sympathiques, « La qualité de la vengeance » de Matthew Dennion et « Judex ab chaos » d’Emmanuel Gorlier nous invitent dans les coulisses de la genèse de Judex, le premier par une réédition du pacte de Faust sous les traits du Pazuzu de L’Exorciste, le second via un petit tour dans le passé médiéval, démultipliant d’autant les interprétations du patronyme choisi par Jacques de Trémeuse. « Le codex Judex », signé Dennis E. Power, sur une problématique similaire, est un cran au-dessus. On tient là un récit rondement mené, passionnant et imposant dans son utilisation de bien des thèmes d’histoire mystérieuse et secrète, éclairant d’un jour presque cosmique la nature de Judex, et brassant des références aussi originales qu’imprévues (les de Marigny de Lovecraft côtoient ici l’anneau unique de Tolkien !). Rick Lai, dans « Le Verdict de Judex », se hisse enfin au pinacle de l’anthologie. Multiforme, son histoire est littéralement étourdissante, débutant par une scène coup de poing, et maniant les références comme autant de boules à jongler, se révélant un digne émule de Philip José Farmer, à qui il est explicitement rendu hommage : non content de relier entre eux plusieurs héros légendaires, il en propose des déclinaisons sous forme d’univers parallèles. Chapeau bas !

Brillants sont également deux récits signés Matthew Baugh : « Dans l’enfer des tranchées » (CdO 9) est une équipée haletante dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, Judex faisant équipe avec Hugo Danner et le Sâr Dubnotal, et qui invite de surcroît à un certain recul vis-à-vis du chauvinisme alors dominant ; « Le masque du monstre » (CdO 1) permet pour sa part de découvrir Judex dans toute son efficacité et sa froideur, épaulant un jeune Maigret confronté à la créature du baron Frankenstein. On retrouve cette dernière dans « Chaque rose…  », une histoire que Baugh cosigne avec Thom Brannan mais qui n’explicite pas tous ses tenants et aboutissants, en particulier la présence de Maciste. Le même Matthew Baugh se fend d’un inédit, « Les gargouilles de Notre-Dame », en lien avec la couverture de l’anthologie, où Judex épaule le Sâr Dubnotal face à des créatures de pierre, mais l’impact du récit est moindre que pour « Le masque du monstre » (avec une petite erreur, puisque censé se dérouler en 1913, le récit fait allusion aux bombardements allemands).

Reprise supplémentaire des Compagnons, « Deux chasseurs » de Robert L. Robinson Jr (CdO 2) est une autre collaboration agréable, cette fois avec Lord Greystoke, mais le dénouement apparaît trop précipité pour réellement s’imposer dans les mémoires. « Pénombre » de Chris Roberson (CdO 1) est toutefois un cran au-dessus, nous invitant à découvrir le contexte de la naissance du futur Batman, qui croise ainsi la route de son prédécesseur hexagonal. « L’abominable conspiration » de Vincent Jounieaux (CdO 10) est une nouvelle qui ne manque pas d’ambition, mêlant avec jubilation les créations littéraires, Francis Ardan devant prouver son innocence épaulé par Judex, le méchant étant ici M Ming. Travis Hiltz, dans « La randonnée d’Ilsa  », croise avec beaucoup d’imagination un Judex ayant pris parti, contrairement au Nyctalope, pour la résistance, et les protagonistes du célèbre film Casablanca… Autre petit bijou, « La justice et la force » de Christofer Nigro (initialement proposé dans La Nuit du Nyctalope) est une confrontation entre Judex et un Nyctalope encore marqué par les tragiques événements survenus dans la colonie martienne, tandis qu’avec « L’œil de l’homme-tigre », la rencontre entre Judex et Félifax embaume un parfum de critique du colonialisme bien agréable. Du même, « La bête intérieure » emploie le docteur Cornélius dans un scénario un peu trop banal, avec un loup-garou en vedette, et « La récompense suprême » fait s’affronter Judex et le prince des vampires, le combat entre les deux étant le principal intérêt d’une histoire quelque peu prétexte. Matthew Dennion avec « Les visages de la peur » nous prouve qu’une nouvelle peut être courte et puissante, marquante, tant son croisement entre Les Yeux sans visage et Les Griffes de la nuit (CdO 9) est aussi improbable que réjouissant.

Autre déception relative, «  Le talisman » de Nicholas Boving, une aventure de Judex associé à Indy junior qui baigne par trop dans l’ésotérisme et la magie, peinant à véritablement passionner. C’est également une certaine frustration que génère « Une session d’entraînement  » de Matthew Dennion, tant les personnages utilisés, et non des moindres -le professeur Challenger ou Arsène Lupin, excusez du peu !-, donnent l’impression de ne pas être pleinement exploités dans leurs capacités et leurs psychés. Romain D’Huissier et « Un billet pour Thulé » (CdO 8) n’exploite pas non plus tout le potentiel de son sujet, préférant se concentrer sur un affrontement aérien certes impressionnant mais trop rapide. David McDonald, dans « Des ombres venues du froid », a l’originalité de nous montrer Judex dans le contexte agitée de la Seconde Guerre mondiale, mais le lecteur non averti demeure perplexe quant à la naturelle réelle de ses adversaires, d’autant qu’il s’agit là de la seule nouvelle dont les crédits sont absents aux Génériques. Pour être tout à fait complet, il convient de signaler la présence de short-short stories, œuvres du coordinateur du volume, convoquant aussi bien le faucon maltais (« Objets trouvés ») que Belphégor (« Judex vs Belphégor ») ou même La Cité et les astres d’Arthur C. Clarke ! Jean-Marc Lofficier reprend également « L’affaire du collier revisité » (CdO 9), belle histoire où Judex joue surtout un rôle en coulisse, face à The Avenger et la créature du «  sculpteur de chair humaine ». L’ombre du Judex, malgré ses textes de qualité inégale, apparaît au final comme une superbe mise en lumière d’un justicier de l’ombre devenu trop peu connu.


Pour commander L’Ombre de Judex suivez le lien vers les éditions Black Coat Press !

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